Des gènes errants - Clap 64 - derniers cahiers


Bonjour, la Smala-aller-de-l'avant (clap 64) 
Oui, il faut aller de l'avant, mais parfois il faut savoir revenir en arrière ! 😜
Alors, sache que, si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là - Clap 1 » ,  et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e et donc fidèle depuis le 4 septembre 2023, tu sais que cette histoire trace son chemin. Alors, ensemble, poursuivons-là...
Bonne lecture !

La précédente publication s'arrêtait comme ça : 

"Elle en est là de ses pensées lorsqu’elle s’aperçoit qu’elle a gardé serré dans sa main les deux cahiers suivants qu’elle était sur le point d’ouvrir. "


Ludivine est dévastée, la maison de maître au perron de pierre n’est plus. Le feu a repris, puis, à nouveau, a été maitrisé. Mais, à présent, il ne reste plus rien. Des barrières de sécurité ont été dressées momentanément devant le portail en fer forgé qu’on a fermé strictement pour que personne ne puisse entrer. Les experts l’ont affirmé, il s’agit d’un feu accidentel. Bien sûr, il n’y a pas eu d’enquête plus poussée ; quel intérêt de perdre du temps pour si peu. Après tout, c’est juste une vieille baraque entourée de cités au cœur de la banlieue qui a pris feu soudainement, c’est juste accidentel, sans équivoque. Certes, Ludivine a failli y rester, elle y a échappée. Au final, personne n’est mort. Voilà un accident comme il en existe beaucoup. Point. D’ailleurs, pas sûr que l’information ait été relayée au-delà d’un simple petit entrefilet à la rubrique des faits divers. Un feu accidentel, dans une vieille bicoque marginale. Tant pis. Point final.

Pourtant, Ludivine s’interroge et reste dubitative. C’est vrai que lors de son arrivée à la maison de maitre ce jour-là, elle se souvient très bien avoir scrupuleusement refermé le portail en fer forgé derrière elle, comme elle le fait chaque fois, ayant toujours l’impression fugace d’être surveillée par le père, même si elle sait pertinemment qu’il n’est plus là maintenant. Malgré ce, quand elle a réussi à s’extirper loin du brasier par la porte donnant sur le perron écroulé, le portail était grand ouvert. Clairement, quelqu’un est entré. Ludivine s’interroge.    

Il n’en est pas moins vrai qu'elle en reste dévastée, effondrée, perdue. La maison est de cendres, l’âme de son enfance est morte, le lieu de ses racines a brulé, ses souvenirs avec le père sont entachés de cette fin-là, l’odeur puissante du feu qui dévaste tout sur son passage. Et surtout, surtout, ont disparu dans les flammes les preuves d’amour non dites, évaporées à jamais ; les dessins sur les murs et tous ces cahiers, ceux lus et puis ceux qu’elle n’a pas eu le temps de lire…

A présent, la seule réalité tangible se réduit aux deux cahiers qu’elle tient encore dans les mains, elle n’a rien lâché pendant l’incendie. Tout le reste n’est que ce que Ludivine en a perçu, tout le reste est parti en fumée. Elle pourrait croire l’avoir rêvé… Mais ces deux cahiers sont bien là et ça, ça la renvoie à une réalité de fait.

Le premier cahier est daté du 10 janvier 1971. Un autre format figure à l’intérieur. Pas d’extraordinaires dessins, pas de textes situant ou éclairant la vie du père ;  il n’y figure que des mots éparses, ici et là. Une page vide, puis un mot ou une phrase, rien de suivi ni de vraiment intelligible au regard de Ludivine, comme si ce qui devait subsister du père, n’a décidément rien à voir avec l’équilibre, la santé d’esprit, le talent, comme si ce qui le définit et le définira à jamais, puisque les preuves de son amour et de sa lucidité ont été détruites, c’est l’anormalité, la marge, l’égarement, le trouble.

Ludivine en tournant les pages lit avidement : « scories » sur toute une page en lettres capitales auréolées d’esquisses dont on perçoit qu’elles sont dessinés par quelqu’un de doué en graphisme. Puis un peu plus loin, le mot « lu mi no si té » en tout petit, entrecoupé à chaque syllabe, griffonné à la hâte et sans soin, dans un angle de la page, rien de lumineux, comme un soleil éteint en haut à droite, là où figure souvent les soleils sur les dessins des enfants. 

La page suivante l’intrigue, il y est annoté d’une écriture rapide : « je ne suis pas fait pour travailler !!! C’est bien un signe que Rocky se soit fait renverser le jour de ce putain d’entretien d’embauche. Qu’ils aillent tous se faire foutre. Au-delà de mes forces… ». Ludivine comprend soudain les pages arrachées sauvagement sur le dernier cahier qu’elle avait lu, alors qu’elle était encore confortablement installée dans le fauteuil en cuir, avant que le feu ne se déclare. Elle perçoit que le père, plein de bonne volonté, était tout prêt à s’investir dans un travail, en vue de la naissance qui allait arriver, la naissance de Réjane, bien sûr. Mais tout s’est effondré pour lui avec la mort de son chien. Dans la lignée de ce que Ludivine voyait de son père lorsqu’il était encore vivant, avec le temps, chaque obstacle l’a systématiquement fait régresser, chaque défit non relevé l’a laissé encore plus bas que terre, de moins en moins vaillant pour franchir les épreuves. Et ses échecs successifs lui ont chaque fois donné l’occasion de s’isoler encore d’avantage.

Sur ce cahier, il y a très peu de dessins. Surtout des mots, des phrases, des jeux de mots, le tout semblant vide de sens aux yeux de Ludivine et en même temps tellement lui : « Des monts et des veaux », « Même pas la peine, si c’est dans la peine », « Plus dure sera la chute », « pain blanc maintenant ou cailloux toujours ? Cailloux toujours, sans le moindre doute ».  Des trucs rigolos aussi : sur une page entière, Ludivine a du mal à saisir l’enchainement de ces quelques lettres inscrites en majuscules : «  G P T le Q B C ». Quand elle saisit enfin, elle a un petit sourire tendre. Oui, parfois, le père pouvait faire le clown, mais c’était tellement rare et si précieux !   

Le deuxième cahier est daté du 1er octobre 1972. Ludivine a le cœur qui bat. Elle vient juste de naître. Elle ouvre les pages avec empressement et tombe en émoi devant ce texte si raturé, si corrigé qu’elle a du mal à en extraire l’essentiel. Quand elle y parvient enfin, elle déchiffre ce qui suit :

« Cœur, 

Tu m’as donné un premier enfant, Marie-Jeanne, Réjane, notre fille chérie. On avait longtemps couvé l’espoir que notre deuxième enfant serait un garçon. On l’aurait appelé Frédéric. Mais non ! Une fille est arrivée. Une deuxième. Pourquoi la vie ne se passe jamais comme je le souhaite ? Pourquoi ces entraves à chaque fois ? Pourquoi tout s’oppose à moi ? Pourquoi est-ce que la vie veut sans cesse me contrarier. Je n’ai pas les réponses ni ce qu’il faut pour y faire face. Je suis heureux de cette nouvelle arrivée, mais je ne suis pas comblé, ni satisfait. Sache-le.

Et puis, toi, où cours-tu quand tu n’es pas là ? Ça me terrasse cette façon bien à toi d’embrasser naturellement chaque jour qui se présente, comme une fleur Moi, je n’y arrive pas. Je sens un fond destructeur m’aspirer dans les méandres de l’inadaptabilité. Je ne suis pas conforme à la conformité. Et il n’y a qu’à toi que je peux l’avouer.

Hors de question de venir te voir à la clinique, c’est pour ça que ma mère t’apporte cette lettre.

Pour honorer quand même cette naissance, tu verras, dans le salon, j’ai disposé un long tapis gris perle au sol, il mène à la table sur laquelle trône un bouquet de fleurs qui s’exprime mieux que je ne peux le faire.

Et puis, à ton retour, je ne serai pas là.

Ne me cherche pas, mais je reviendrai bientôt parce que je tiens à toi, à Réjane et il me faut faire connaissance avec sa sœur…

Dan ».

Ce dernier cahier avait fait office de brouillon pour la rédaction d’une lettre que sa mère avait dû lire, encore meurtries de l’accouchement. Ludivine reste de marbre et pourtant, tout boue à l’intérieur. A travers cette lettre reconstituée, elle pressent la trajectoire de la vie du père, son histoire avec sa mère, leur impossibilité à évoluer ensemble, les désordres déjà naissants et bien enracinés. Et puis, après cette lecture, elle se sent certes désirée, voulue, mais pas sous cette forme-là. L’insatisfaction du père rejaillit sur elle en un sentiment déployé, celui de ne pas être « comme il faut », celui de ne pas être « à sa place au bon moment ». Garçon ou fille ? S’affirmer ou rester discrète ? Lui vient alors en tête, la mélodie de la chanson de Mylène Farmer très en vogue sur les ondes :

« Puisqu’il faut choisir, à mots doux je peux le dire, sans contrefaçon, je suis un garçon… ».

Elle n’a pas le temps de réfléchir davantage à la situation. Dans son petit studio où elle est en train de découvrir ces deux derniers cahiers, soudain, le téléphone sonne.

-       Allo, dit-elle d’une voix affirmée, pensant avoir encore affaire au commissariat dans le cadre de l’incendie.

-       Oui, salut, c’est Réjane.

Ludivine est scotchée. Enfin… Réjane… Mais elle n’a pas le temps de répondre que sa sœur prend les devants.

-       Ça te dirait qu’on se voit ?


La suite dans quelques jours ?😎 

Sandrine L

Ecrivant








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