Des gènes errants - Clap 56 - Le dernier souffle


Bonjour la Smala-bonne-année ! (clap 56)

J'ai repris mon souffle. 
Inspire, expire, un temps de rien, un temps festif, un temps de joie, forcé ou pas, ça ne change rien, l'air est toujours le même, peut être un peu plus froid, ça sent la neige et le feu de bois, c'est top pour cocooner ! 
Passer d'une année à l'autre, c'est comme passer d'un souffle à l'autre. La joie s'inscrit dans ce que l'on veut y apporter de joyeux. Parfois, festif et joyeux sont dans la " tranquillitude ", la conscience de l'instant, le passage d'une minute à l'autre, d'un jour à l'autre, d'un présent à l'autre.
Cher(e) lectrice et lecteur, que la joie s'invite à ta conscience à chaque souffle pour 2025, parce que tant qu'il y a du souffle, il y a de la Vie. Le joyeux est la porte d'entrée vers le joyaux de ton être. Ca se joue à très peu, une seule lettre, parfois ! 👌 

Et même si on a changé d'année, on continue l'Histoire !
Tout pareil ; si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là »,  et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e et donc fidèle depuis le 4 septembre 2023, tu sais que cette histoire trace son chemin. Alors, ensemble, poursuivons-là...
Bonne lecture !

La précédente publication s'arrêtait comme ça : 
 " Oui, pour le père, à cet instant précis, Ludivine le réalise soudain et c'est pour ça que son cœur s'emballe, se nourrir ne lui importe plus ".


Dans la cuisine, le cœur de Ludivine s’emballe dans une étreinte de fer, un étau, elle a du mal à respirer, elle a comme une prémonition quand elle s’approche de la chambre du père. Voilà un moment qu’il ne répond plus, qu’il ne grogne plus, qu’il ne s’impatiente plus, qu’il ne lui fait plus de reproche et qu’il n’envoie plus d’ordre d’une pièce à l’autre.

-       Ludivine, pas trop de sel dans mes œufs !

-       Ludivine, tu touches à rien dans mes affaires !

-       Ludivine, t’as pas jeté les prospectus de la boite aux lettres, hein ?

Quand il ne l’appelle pas Réjane…

Voilà bien une demi-heure que plus un bruit ne sort de là-bas, alors qu’elle s’affaire à préparer leur repas dans la cuisine crasseuse et encombrée de la maison de maître. Parce que oui, systématiquement, elle prévoie de manger avec le père, pour lui tenir un peu compagnie, même si, au milieu de tout ce foutoir et ces odeurs pestilentielles, elle a du mal à avaler quoique ce soit. Progressivement, au fil des mois, le père s’est retranché dans sa chambre. Il argue le fait qu’il est fatigué, mais Ludivine voit bien qu’il s’agit de bien plus que de la fatigue, elle se rend bien compte que son corps suit de moins en moins le rythme de la vie. Ainsi que son esprit, d’ailleurs. Il perd le sens, il perd le nord, les mots et la vie. Il perd les prénoms aussi. Ludivine l’en excuse, elle tente de ne rien prendre pour elle, il y a de bonnes raisons, si tant est que les ravages de la vieillesse en soit une. Le père s’étiole, se recroqueville sur lui-même. Et même si elle s’attend au pire, elle n’est pas prête à ça. On n’est jamais prêt à ça, d’ailleurs. Quand on découvre un corps inerte dans la pénombre d’une chambre chargée d’objets hétéroclites et d’odeurs envahissantes, on a beau s’y attendre, voire le souhaiter pour soulager le mal être récurrent de l’être aimé, on s’effondre.

Ludivine est effondrée sur le côté du lit, une fesse au contact du sol froid, une main tenant la main du père, la joue sur le matelas. Il est parti, elle en est sûre, même si elle n’a rien vérifié, elle n’en a pas eu le temps, elle s’est effondrée en lui prenant la main qu’elle a trouvé bien inerte, soudain. Il est parti, il ne peut plus répondre à l’étreinte de sa main dans la sienne. Il a donné son dernier souffle à l’araignée du plafond et à sa toile qui fait comme un rempart entre lui et l’arachnide. On dirait qu’elle a tissé sa toile pour le prendre dans ses filets. Elle a réussi assurément, la petite faucheuse… Le regard du père est fixé sur la toile tout près de l’ampoule dénudée, voilà la dernière image qu’il a dû percevoir en toute fin. Et Ludivine, ça lui rappelle les bouquets de fleurs au bord des routes, installés là pour faire perdurer le souvenir d’un être aimé disparu précisément à cet endroit, sur ce bord de route, un bouquet symbolisant le dernier souffle, le dernier regard qu’a peut-être eu le disparu, soufflé par la grande faucheuse. Il va falloir que Ludivine accroche des fleurs au plafond…

L’esprit de Ludivine divague, et c’est comme un déni, elle se refuse à constater la mort du père. Comment fait-on, d’ailleurs pour constater une mort ? Ça ne lui ait jamais arrivé d’être seule, si près d’un corps sans vie. Même la mort de sa mère quelques années auparavant ne l’a pas entraînée à la mort. On n’est jamais rodé à cotoyer la mort, mais la mort, elle se sent… Il faut dire que pour sa mère, les circonstances étaient bien différentes. Les secours s’en étaient chargée formant un bouclier entre elle et le corps calciné et, compte tenu de l’état de la voiture qui avait partiellement brulé et de l’emplacement inexistant du conducteur, il était évident que sa mère n’était plus, écrabouillée et brulée, écrabrulée, entre le volant et le siège, il a fallu désincarcérer ce qu’il restait du corps déjà désincarné. Et puis, sa mère, elle n’avait pas eu le temps de la connaître, de la reconnaître, de la pratiquer, de la côtoyer, fauchée au tout début de leurs retrouvailles, le lien n’avait pas eu le temps de se recréé. Et ne se créera jamais désormais que dans l’imaginaire de Ludivine. La page n’est pas tournée, elle est juste enfouie au fond de ses entrailles. Mais que les entrailles de Ludivine doivent être envahies à force de tout enfouir là… Quand on perd un parent, on est orphelin. Quand elles étaient toute petite Ludivine et Réjane sont devenues orphelines au départ de leur mère, la grande absente de leur jeunesse. Aujourd’hui, le père a fait le grand saut. Ludivine et Réjane, désormais sans père ni mère, sont morphelines.  

Ludivine s’est effondrée la main dans la main du père encore chaude. Elle est envahie d’une bouffée de culpabilité, elle n’était pas présente quand le père a donné son dernier souffle, elle était dans la cuisine, obéissante toujours à ne rien déranger, veillant à ne pas trop ajouter de sel à l’omelette du jour, faisant attention à ne pas jeter les prospectus de la boite aux lettres dans la poubelle. Une poubelle ? Quelle poubelle ? Cette maison entière est poubelle, rien n’est propre, tout est à jeter, toutes ces piles accumulées au fil du temps, ça n’a pas de sens, Ludivine est mal à l’aise dans cette maison qu’elle ne reconnait plus comme étant la maison de son enfance, la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé s’est peu à peu transformée en une maison délabrée au perron écroulé et au portail grinçant, rouillé.

Ludivine ne parvient pas à bouger du sol. Elle ne parvient pas à expulser une seule larme, elle est dans ses pensées, sa culpabilité et l’invasion de ses entrailles qui, depuis qu’elle est née, enferment bien trop de choses. En quelques sortes, elle a fait comme le père qui accumule autour de lui tous ces immondices, Ludivine, elle, a tout accumulé au fond ses entrailles, pensant faire taire ses pensées. Accumuler, amonceler. Cette famille est forte pour «  accumonceler », chacun à sa manière.

Pour l’heure, la pensée de Ludivine ne s’apaise pas, et pour cause… « Un mort est près de toi ». Que faut-il faire quand on est près d’un mort ? Il a les yeux ouverts. Ludivine a déjà vu des films où on ferme les yeux des morts, et elle a toujours trouvé ce geste élégant ; poser la main sur le front, la descendre lentement vers le nez et, comme un tour de magie, les yeux se ferment. Il n’y a plus d’accès à l’âme, l’âme du père est inaccessible, il ne reste plus que sa main dans la sienne. Ludivine n’ose pas la lâcher, la main du père, elle reste assise lourdement une fesse au sol, sans larme, assaillie d’une tristesse pesante, envahie d’une culpabilité paralysante, un vide sidéral entre le cœur et le ventre, la tête posée sur le rebord du matelas, les yeux tournés vers le mur qui fait face à la fenêtre de la chambre.

C'est là qu'elle aperçoit la porte, une porte qui communique avec une pièce dans laquelle elle n’est jamais entrée de sa vie ; c'est le bureau du père…


La suite dans quelques jours ? 


Sandrine L

Ecrivant

Commentaires

  1. Belle année à toi

    RépondreSupprimer
  2. Heureuse de continuer ce chemin de lecture auprès de toi . Sofi qui a quitté l’heros pour le gars🫢

    RépondreSupprimer
  3. Je te souhaite une belle année Sandrine, pleine de joies, de balades, de lectures et de repas entre amis 🤗 😉 Bisous

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Reprendre son souffle...

Je pars en thèse...