Des gènes errants - Clap 62 - Encore des cahiers !

 


Bonjour, la Smala-aller-de-l'avant (clap 62) 

Oui, il faut aller de l'avant, mais parfois il faut savoir revenir en arrière ! 😜
Alors, sache que, si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là - Clap 1 » ,  et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e et donc fidèle depuis le 4 septembre 2023, tu sais que cette histoire trace son chemin. Alors, ensemble, poursuivons-là...
Bonne lecture !

La précédente publication s'arrêtait comme ça : 

"A la fin du cahier, quelques lignes stoïques sur la dernière page sont rédigées et disposées comme un poème : Rocky, C’est moi, animal. Je suis lui, Dan. Sauf lui, personne ne me comprend ici-bas. Lui n’a pas la parole, mais il a ce regard, là. Face à moi, il est entier, Il est ma moitié manqué. A nous deux, tout file. J’aurai dû l’appeler Niel.".


Ludivine voit peu à peu le profil du père surgir à travers ces cahiers. Tout ce dont il n’a jamais parlé. Elle a une grande douceur pour la douleur exposée, pour l’amour pur déversé entre les pages, pour la souffrance saupoudrée sur toute la vie du père. Elle n’a qu’une envie, c’est de continuer à découvrir, avide, curieuse. Lui trouver des excuses de ne pas avoir été le père qu’elle aurait aimé avoir. Lui trouver des excuses pour pouvoir continuer son chemin à elle. Elle en a le temps, rien ne la presse et le temps passe vite, là, au creux de la chaleur du fauteuil en cuir. Elle se laisse absorbée, oubliant la vie à l’extérieur, au chaud dans l’antre du père, son antre à elle, sur l’instant.

Elle est tellement absorbée d’ailleurs qu’elle n’entend pas les bruits de l’extérieur. Elle n’entend pas les bruits de la ville et le portail grincer quand quelqu’un l’ouvre. Elle n’entend pas les bruit de pas dans l’allée.

Les cahiers l’absorbent toute entière et les suivants, 1961, 1962, sont plein de vides. Ceux de 1963 et 1964 sont en revanche remplis de dessins ; des voitures par-là, des croquis de Rocky, puis, des voitures encore, puis Rocky, encore et encore, mettant en évidence un côté obstiné, passionnel, entier, et totalement mono tâche ; oui, Ludivine a la confirmation à travers ces sujets rarement élargis que quand le père avait un intérêt, il était entièrement voué et tourné vers lui, faisant fi de tout le reste et du reste du monde. Entre 1960 et 1964, son petit monde à lui se réduisait aux voitures et à son chien, ses dessins, comme il s’était réduit à son vague à l’âme pendant toutes ces années où Ludivine habitait dans la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé.

Le cahier suivant comporte une date entière : c’est le 09 mars 1965. Ludivine, à nouveau, s’apprête à des révélations. De fait, en tournant les pages, elle ne découvre aucun dessin. Chaque feuille est noircie de l’écriture du père, une écriture serrée, minuscule, rien que des pattes de mouche, comme si il avait voulu économiser l’espace pour pouvoir exprimer tout ce qu’il avait à exprimer cette année-là. A la lecture de ce cahier, Ludivine est transportée dans un autre monde, dans la vie d’un être qu’elle semble n’avoir jamais rencontré, jamais connu. Elle y découvre un jeune homme amoureux, elle découvre une rencontre amoureuse. Une très belle rencontre.

Le père a tout juste 30 ans, l’amoureuse en a à peine 20. Le père y expose un réel coup de foudre, l’amour qui lui tombe dessus le transportant totalement et indéfectiblement. Il y a de la joie, dans ces pages, de l’espoir, de la vie, de l’enthousiasme. Rien de ce que montrait le père à Ludivine au quotidien. Et si ce qu’on nomme un coup de foudre est à l’image des manquements et des insatisfactions initiales, c’est peu de dire que cette rencontre semble le combler au plus haut point, au point de ne plus dessiner ni voiture, ni chien, au point de n’écrire que sur elle, Germaine, puisqu’il s’agit bien d’elle, la mère de Réjane et Ludivine. Dans ces quelques pages, y sont détaillées la rencontre, la connexion qui coule de source, la connivence de deux âmes à l’unisson, en équilibre parfait. Le père est poétique à souhait, pudique plus que de raison, et ça, ça n’est pas pour déplaire à Ludivine. Mais à nouveau, le père est mono tâche : ça ne parle que de Germaine, Germaine et lui, lui et Germaine, inlassablement, joyeusement, mais inlassablement.

Ludivine est à nouveau émue aux larmes, transportée par ce qu’elle découvre ; avoir la preuve, là, sous ses yeux que son père et sa mère se sont aimés, indiscutablement, ça change la donne. Elle a comme une envie de s’arrêter là, de ne plus rien lire de ces cahiers, comme si ce qu’elle y cherchait, elle l’avait trouvé ; son père et sa mère se sont aimés, sa propre existence en est magnifiée.

Par respect pour leur intimité, Ludivine ne lit pas tout le cahier du 9 mars 1965. Et puis, ça reste lancinant, factuel, sans intérêt dans la forme , mais tellement rassurant pour Ludivine, dans le fond. Elle s’arrête là ; il y a une toute autre urgence ; elle veut connaître la suite, les raisons de la chute, même si elle en a une petite idée.

1966, 1967, 1968 sont des cahiers vides. Il semblerait que rien ne s’est vraiment passé, ces années-là. Ou peut-être le bonheur était-il tellement parfait qu’il n’y avait rien à en dire, rien à en croquer ? Les gens heureux n’ont pas d’histoire…

Dans le cahier de 1969, une seule page et un seul texte, sobre, simple, clair :

Germaine va me donner un enfant. On attend un enfant. C’est incroyable. Je me dois de chercher du travail. Germaine travaille, elle, je ne peux pas la laisser assumer seule, même si je sais que c’est elle la plus forte… Demain, je suis convoqué à un entretien d’embauche.

Les pages suivantes ont été arrachées, littéralement arrachées. Ce qui en reste, attaché à la reliure est tout dentelé, on devine un empressement à faire disparaître la suite.

Ludivine lève le nez du cahier endommagé. Elle entend le brouhaha de la ville, mais elle ne fait pas la différence avec les bruits de la maison. Cette maison dans laquelle elle a vécu si longtemps lui parait étrangère, vu de la place qu’elle occupe là, sur le gros fauteuil en cuir. Pas de vue sur l’extérieur, les volets du bureau sont restés fermés. Pour elle, de là, tous les bruits sont à resituer, à ré apprivoisé, surtout depuis qu’elle a levé ses manches pour virer une grande partie du fatras que le père a accumulé au fil des années, révélant une maison souillée, prête à s’écrouler tant elle a manqué d’attention, d’entretien. Les murs se libèrent, ça grince de toute part, ça grince et ça crépite, la maison parle, comme elle l’a toujours fait, s’effondrant peu à peu au rythme du passage des années, comme des clous qu’on enfonce, histoire de croire que tout restera en place.

Ludivine a encore bien du travail, beaucoup d’objets inutiles à désencombrer, mais chaque chose en son temps. Il n’y a pas urgence à accélérer quoique ce soit, dans la mesure où Réjane est introuvable. Aucune décision concernant cette maison ne pourra se faire sans l’accord des deux sœurs.

Ludivine est sur le point de continuer la lecture des cahiers du père quand soudain, une odeur arrive à elle, la ramenant à l’instant présent. Jusque-là, durant ses multiples visites pour désencombrer la maison, il persistait cette senteur caractéristique d’un lieu mal entretenu, un air de renfermé et de macération de vieille chaire. Sur l’instant, Ludivine s’en écœurait dès son arrivée, et puis, elle s’y était tant habituée qu’elle n’y faisait plus vraiment attention une fois le pas de la porte franchie. Mais là, l’odeur qui arrive à elle, c’est comme une odeur vivante, en mouvement, une émanation, une alerte qui vient chercher le nez de Ludivine ; quelque chose est en train de cramer….



La suite dans quelques jours ?😎 

Sandrine L

Ecrivant


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