Des gènes errants - Clap 59 - Une pièce à part
Bonjour, la Smala-aller-de-l'avant (clap 59)
Et
ce qui s’y trouve l’apaise et la trouble à la fois.
Cette
pièce ressemble à ce qu’aurait pu être toute la maison de maître, si seulement…
Il s’instaure comme un dialogue, dans la tête de Ludivine :
-
Si seulement ? Mais il n’y a pas
de si qui tienne, c’est ainsi, la maison est vérolée, contaminée, empoisonnée,
détériorée, endommagée. Les qualificatifs sont infinis.
Ludivine,
au fil des années a vu cette maison se dégrader progressivement et rien ne
pouvait changer l’évolution des choses, si ce n’est le bon vouloir du maître
des lieux lui-même.
-
Oui, et le vouloir du maître n’a jamais
été bon…
Ludivine
ressent le besoin de respirer un grand coup tout en fermant les yeux, elle
éloigne ainsi les voix dans sa tête. C’est seulement après ce souffle qu’elle
se sent mieux, plus légère, comme si toutes les charges familiales la
libéraient tout à coup, comme envolées, disparues : ses épaules se
redressent, son cœur s’ouvre et prend toute la place dans sa poitrine.
La
pièce dans laquelle Ludivine vient d’entrer semble être préservée. Ludivine n’arrive
pas à s’expliquer la raison de cette sensation de légèreté, alors qu'elle est toujours dans cette foutue maison, mais elle reçoit,
engrange ce bien être soudain. Peut-être est-ce parce qu’elle n’était jamais
entrée ici auparavant et qu’à première vue, dans cette pièce, rien ne la ramène
dans le quotidien sale, encombré désordonné que défendait si fortement le père,
tout au long de ces années.
Ici,
tout est propre, rangé, rien ne traîne ni s’empile.
Ludivine
s’avance au milieu de la pièce et respire encore une grande goulée d’air frais
qui la comble et lui procure comme un frisson de plaisir, des vagues dans le
flux de ses veines, du vent dans les voiles de ses poumons, le calme de l’œil du
cyclone dans sa tête. Jamais dans la maison de maître au perron de pierre
écroulé et au portail grinçant, elle ne s’est sentie aussi allégée, alignée,
qu’en pénétrant dans ce bureau.
Ludivine
regarde autour d’elle ; oui, il s’agit bien d’un bureau. Un secrétaire
imposant trône au milieu de la pièce, faisant face aux volets fermés aux
interstices lumineux, et ça fait comme des failles qui laissent passer la
lumière. Le meuble, immense, prend quasiment tout l’espace, il est en acajou,
d’une couleur presque rouge tellement sa patine en est lustrée, propre,
astiquée. Aucun des meubles de la maison de maître n’a cette prestance et cette
solidité, cette ferveur à vouloir remplir son contrat ; s’imposer et
occuper l’espace.
Ludivine
s’en approche, curieuse et en caresse minutieusement la surface lisse et
brillante. Elle tire le fauteuil qui y est accolé et s’y installe, appréciant le
confort si chaleureux du cuir. Aucun des meubles de la maison de maître n’a
cette douceur, ce côté douillet, cette ferveur à remplir son contrat ;
accueillir et réconforter.
Ici,
tout est propre, rangé, rien ne traîne ni s’empile.
Ludivine
se lève lentement du fauteuil, contourne à pas lents le bureau impeccable,
savourant le moment. Au sol, une moquette amortit le bruit de ses pas. C’est un
revêtement comme elle n’en a jamais vu, constellée d’une myriade de minuscules
fleurs violettes contrastant de façon lumineuse sur fond de vert tendre. Ses
pieds s’y enfoncent souplement comme dans le parterre d’une prairie, elle croit
même en sentir les parfums légers et printaniers, amplifiés par la chaleur des rayons du
soleil à travers les volets.
Ici,
tout est propre, rangé, rien ne traîne ni s’empile.
C’est
alors que ses yeux se posent sur le mur à droite quand elle tourne le dos à la
porte ébranlée. Là, Ludivine distingue, dessinée à même le mur blanc une
multitude de tous petits portraits noirs ébauchés de lignes précises, comme dessinés
au fusain, incrustés dans le mur. En s’approchant, sous la seule lumière provenant
des fentes des volets, elle reconnait alors ces portraits ; ils
représentent Réjane et elle, de la naissance à l’adolescence, des croquis noirs
alignés sur un mur blanc, sertis, ciselés, scandant les années passées, recouvrant
l’espace, du sol au plafond.
Ludivine
a le cœur qui s’emballe et les yeux pleins de larmes. Qui d’autre que son père
a pu dessiner cette œuvre colossale, alliant génie, originalité et sens de l’observation ?
Les ressemblances sont si frappantes et le rythme des années qui les a vu
grandir, si évident ! Qui d’autre que le père, tout au long de ces années,
est entré dans cette pièce ? Qui d’autre que le père est l’auteur de tout
ça ? Personne d’autre que lui….
Les
larmes de Ludivine coulent sur ses joues embrouillant sa vision l’espace d’un
instant. Une voix à nouveau souffle à l’intérieur de son esprit :
-
Si cet ouvrage n’est pas une
déclaration d’amour, alors, ça y ressemble fortement….
Très
vite, elle détourne son regard sur le mur qui fait face, à gauche en entrant
dans la pièce, et là, une deuxième œuvre d’art tout aussi colossale saute à ses
yeux sous la lumière douce qui filtre derrière les volets ; il s’agit de l’exact
opposé du mur de droite, une multitude de tous petits portraits blancs ébauchés
de lignes précises, comme dessinés à la craie, incrustés dans le mur, représentant
incontestablement Réjane et elle, de la naissance à l’adolescence, des croquis
blancs alignés sur un mur noir, serties, ciselés, scandant les années qui
passent, recouvrant l’espace, du sol au plafond.
Ludivine
sent ses jambes faiblir, les larmes lui brouillent des yeux, elle est abasourdie
et bouleversée de sa découverte. A tâtons, tout en se retenant sur les pans du
bureau, elle retourne s’asseoir sur le fauteuil en cuir, scrutant les deux
murs, les mains crispées sur les accoudoirs. Elle a comme l’impression d’être
sur le grand huit d’une fête foraine, la tête lui tourne, son cœur chavire.
Le
père n’a jamais fait part de telles capacités à dessiner. Il n’a jamais fait
part d’une quelconque habileté dans quelque domaine que ce soit. Au quotidien,
il était juste très doué pour plomber l’ambiance, imposer ses points de vue,
s’éclipser aux moments les plus inattendus, se fermer pour un oui pour un non,
mais jamais, non jamais, il n’a montré ce côté artistique de lui-même.
Ludivine
se sent trahie. Et la voix, à nouveau :
- Trop tard, maintenant,
le père est mort, enterré, il n’est plus possible de rattraper le coup. Pour
lui dire quoi, d’ailleurs ?
Pour
autant, un léger sentiment de gâchis persiste en son esprit, mêlé d’une vague
d’amour incommensurable ; Ludivine prend conscience que le père avait de
l’amour pour Réjane et Ludivine. Beaucoup d’amour. Simplement, il était enfermé
dans sa prison, seul et impuissant à s’exprimer autrement que mal, autrement
qu’à côté de la plaque, autrement que générant du désordre autour de lui, trop
désordonné en lui-même.
A
nouveau, ça souffle dans sa tête :
-
Ici, tout est propre, rangé, rien ne
traîne ni s’empile… C’est bien la preuve qu’il pouvait faire la différence…
Ludivine
chasse toute négativité, elle se redresse, les joues humides, la tête lourde
mais étrangement apaisée.
Les
yeux toujours troublés de la larmes et la tête à l’envers, elle poursuit alors l’inspection
des lieux. Elle veut en savoir plus à son sujet. Après tout, le père semble
être un inconnu pour elle après toutes ces années passées ensemble. Cache-t-il
d’autres secrets ?
Toujours
assise sur le fauteuil en cuir, fébrilement, elle commence à ouvrir les petits
tiroirs du secrétaire. Et, à l’intérieur de chacun d’eux, elle découvre des
cahiers, une multitude de cahiers, tous de la même taille. Ils sont recouverts
de papier kraft de telle sorte qu’ils semblent tous identiques. Ils sont minutieusement
rangés, empilés les uns sur les autres dans un ordre chronologique ; la seule
chose qui les différentie, c'est la date minutieusement inscrite sur leur tranche.
Sur celle du premier cahier, Ludivine reconnait la date de naissance du père.
Sans
hésiter, elle s’en empare et l’ouvre.
La suite dans quelques jours ?😎
Sandrine L
Ecrivant
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