Des gènes errants - Clap 59 - Une pièce à part


Bonjour, la Smala-aller-de-l'avant (clap 59) 

Oui, il faut aller de l'avant, mais parfois il faut savoir revenir en arrière ! 😜
Alors, sache que, si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là - Clap 1 » ,  et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e et donc fidèle depuis le 4 septembre 2023, tu sais que cette histoire trace son chemin. Alors, ensemble, poursuivons-là...
Bonne lecture !

La précédente publication s'arrêtait comme ça : 
 "Les volets sont fermés, mais une douce lumière passe au travers des interstices, insufflant à l’endroit une ambiance paisible et la possibilité  pour Ludivine de détailler aisément ce qui s’y trouve ".

Et ce qui s’y trouve l’apaise et la trouble à la fois.

Cette pièce ressemble à ce qu’aurait pu être toute la maison de maître, si seulement… Il s’instaure comme un dialogue, dans la tête de Ludivine :

-       Si seulement ? Mais il n’y a pas de si qui tienne, c’est ainsi, la maison est vérolée, contaminée, empoisonnée, détériorée, endommagée. Les qualificatifs sont infinis.

Ludivine, au fil des années a vu cette maison se dégrader progressivement et rien ne pouvait changer l’évolution des choses, si ce n’est le bon vouloir du maître des lieux lui-même.

-       Oui, et le vouloir du maître n’a jamais été bon…

Ludivine ressent le besoin de respirer un grand coup tout en fermant les yeux, elle éloigne ainsi les voix dans sa tête. C’est seulement après ce souffle qu’elle se sent mieux, plus légère, comme si toutes les charges familiales la libéraient tout à coup, comme envolées, disparues : ses épaules se redressent, son cœur s’ouvre et prend toute la place dans sa poitrine.

La pièce dans laquelle Ludivine vient d’entrer semble être préservée. Ludivine n’arrive pas à s’expliquer la raison de cette sensation de légèreté, alors qu'elle est toujours dans cette foutue maison, mais elle reçoit, engrange ce bien être soudain. Peut-être est-ce parce qu’elle n’était jamais entrée ici auparavant et qu’à première vue, dans cette pièce, rien ne la ramène dans le quotidien sale, encombré désordonné que défendait si fortement le père, tout au long de ces années.

Ici, tout est propre, rangé, rien ne traîne ni s’empile.

Ludivine s’avance au milieu de la pièce et respire encore une grande goulée d’air frais qui la comble et lui procure comme un frisson de plaisir, des vagues dans le flux de ses veines, du vent dans les voiles de ses poumons, le calme de l’œil du cyclone dans sa tête. Jamais dans la maison de maître au perron de pierre écroulé et au portail grinçant, elle ne s’est sentie aussi allégée, alignée, qu’en pénétrant dans ce bureau.

Ludivine regarde autour d’elle ; oui, il s’agit bien d’un bureau. Un secrétaire imposant trône au milieu de la pièce, faisant face aux volets fermés aux interstices lumineux, et ça fait comme des failles qui laissent passer la lumière. Le meuble, immense, prend quasiment tout l’espace, il est en acajou, d’une couleur presque rouge tellement sa patine en est lustrée, propre, astiquée. Aucun des meubles de la maison de maître n’a cette prestance et cette solidité, cette ferveur à vouloir remplir son contrat ; s’imposer et occuper l’espace.

Ludivine s’en approche, curieuse et en caresse minutieusement la surface lisse et brillante. Elle tire le fauteuil qui y est accolé et s’y installe, appréciant le confort si chaleureux du cuir. Aucun des meubles de la maison de maître n’a cette douceur, ce côté douillet, cette ferveur à remplir son contrat ; accueillir et réconforter.

Ici, tout est propre, rangé, rien ne traîne ni s’empile.

Ludivine se lève lentement du fauteuil, contourne à pas lents le bureau impeccable, savourant le moment. Au sol, une moquette amortit le bruit de ses pas. C’est un revêtement comme elle n’en a jamais vu, constellée d’une myriade de minuscules fleurs violettes contrastant de façon lumineuse sur fond de vert tendre. Ses pieds s’y enfoncent souplement comme dans le parterre d’une prairie, elle croit même en sentir les parfums légers et printaniers, amplifiés par la chaleur des rayons du soleil à travers les volets.

Ici, tout est propre, rangé, rien ne traîne ni s’empile.

C’est alors que ses yeux se posent sur le mur à droite quand elle tourne le dos à la porte ébranlée. Là, Ludivine distingue, dessinée à même le mur blanc une multitude de tous petits portraits noirs ébauchés de lignes précises, comme dessinés au fusain, incrustés dans le mur. En s’approchant, sous la seule lumière provenant des fentes des volets, elle reconnait alors ces portraits ; ils représentent Réjane et elle, de la naissance à l’adolescence, des croquis noirs alignés sur un mur blanc, sertis, ciselés, scandant les années passées, recouvrant l’espace, du sol au plafond.

Ludivine a le cœur qui s’emballe et les yeux pleins de larmes. Qui d’autre que son père a pu dessiner cette œuvre colossale, alliant génie, originalité et sens de l’observation ? Les ressemblances sont si frappantes et le rythme des années qui les a vu grandir, si évident ! Qui d’autre que le père, tout au long de ces années, est entré dans cette pièce ? Qui d’autre que le père est l’auteur de tout ça ? Personne d’autre que lui….

Les larmes de Ludivine coulent sur ses joues embrouillant sa vision l’espace d’un instant. Une voix à nouveau souffle à l’intérieur de son esprit :

-       Si cet ouvrage n’est pas une déclaration d’amour, alors, ça y ressemble fortement….

Très vite, elle détourne son regard sur le mur qui fait face, à gauche en entrant dans la pièce, et là, une deuxième œuvre d’art tout aussi colossale saute à ses yeux sous la lumière douce qui filtre derrière les volets ; il s’agit de l’exact opposé du mur de droite, une multitude de tous petits portraits blancs ébauchés de lignes précises, comme dessinés à la craie, incrustés dans le mur, représentant incontestablement Réjane et elle, de la naissance à l’adolescence, des croquis blancs alignés sur un mur noir, serties, ciselés, scandant les années qui passent, recouvrant l’espace, du sol au plafond.

Ludivine sent ses jambes faiblir, les larmes lui brouillent des yeux, elle est abasourdie et bouleversée de sa découverte. A tâtons, tout en se retenant sur les pans du bureau, elle retourne s’asseoir sur le fauteuil en cuir, scrutant les deux murs, les mains crispées sur les accoudoirs. Elle a comme l’impression d’être sur le grand huit d’une fête foraine, la tête lui tourne, son cœur chavire.

Le père n’a jamais fait part de telles capacités à dessiner. Il n’a jamais fait part d’une quelconque habileté dans quelque domaine que ce soit. Au quotidien, il était juste très doué pour plomber l’ambiance, imposer ses points de vue, s’éclipser aux moments les plus inattendus, se fermer pour un oui pour un non, mais jamais, non jamais, il n’a montré ce côté artistique de lui-même.

Ludivine se sent trahie. Et la voix, à nouveau :

-        Trop tard, maintenant, le père est mort, enterré, il n’est plus possible de rattraper le coup. Pour lui dire quoi, d’ailleurs ?

Pour autant, un léger sentiment de gâchis persiste en son esprit, mêlé d’une vague d’amour incommensurable ; Ludivine prend conscience que le père avait de l’amour pour Réjane et Ludivine. Beaucoup d’amour. Simplement, il était enfermé dans sa prison, seul et impuissant à s’exprimer autrement que mal, autrement qu’à côté de la plaque, autrement que générant du désordre autour de lui, trop désordonné en lui-même.

A nouveau, ça souffle dans sa tête :

-       Ici, tout est propre, rangé, rien ne traîne ni s’empile… C’est bien la preuve qu’il pouvait faire la différence…

Ludivine chasse toute négativité, elle se redresse, les joues humides, la tête lourde mais étrangement apaisée.

Les yeux toujours troublés de la larmes et la tête à l’envers, elle poursuit alors l’inspection des lieux. Elle veut en savoir plus à son sujet. Après tout, le père semble être un inconnu pour elle après toutes ces années passées ensemble. Cache-t-il d’autres secrets ?

Toujours assise sur le fauteuil en cuir, fébrilement, elle commence à ouvrir les petits tiroirs du secrétaire. Et, à l’intérieur de chacun d’eux, elle découvre des cahiers, une multitude de cahiers, tous de la même taille. Ils sont recouverts de papier kraft de telle sorte qu’ils semblent tous identiques. Ils sont minutieusement rangés, empilés les uns sur les autres dans un ordre chronologique ; la seule chose qui les différentie, c'est la date minutieusement inscrite sur leur tranche. Sur celle du premier cahier, Ludivine reconnait la date de naissance du père.

Sans hésiter, elle s’en empare et l’ouvre.


La suite dans quelques jours ?😎 

Sandrine L

Ecrivant


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