Des gènes errants - Clap 58 - Le bureau


 Bonjour, la Smala-aller-de-l'avant (clap 58) 

Oui, il faut aller de l'avant, mais parfois il faut savoir revenir en arrière ! 😜
Alors, sache que, si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là - Clap 1 » ,  et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e et donc fidèle depuis le 4 septembre 2023, tu sais que cette histoire trace son chemin. Alors, ensemble, poursuivons-là...
Bonne lecture !

La précédente publication s'arrêtait comme ça : 
 " (...) puis une fois debout, [Ludivine] se dirige vers la porte du bureau, pose la main sur la poignée froide. ".


Mais au moment où Ludivine tente d’abaisser la poignée, elle entend du bruit dehors qui suspend son geste, un bruit si inhabituel, un boucan si effrayant, un tel vacarme qu’il pourrait réveiller un mort. C’est ce qui vient à l’esprit de Ludivine, ça pourrait le réveiller, le père… Où va se nicher le déni !...

C’est un avion militaire qui passe à grande vitesse dans le ciel, on l’entend venir de loin, puissamment, puis survoler la zone, faisant battre les cœurs dans les poitrines, éclatant les tympans, renvoyant tout un peuple quelques décennies auparavant, quand les bombes étaient sur le point de tomber. Et même si on ne l’a pas vécu, c’est un bruit qui fait qu’on s’y attend. Ludivine rentre la tête dans les épaules, mais l’avion bruyant trace son chemin vitesse grand V, elle l’entend partir au loin, un bruit portant, un bruit métallique qui n’augure rien de bon, qui pourrait réveiller un mort, oui, et pourtant le père ne s’est pas réveillé.

Il est toujours inerte, là, les yeux fermés, la tête en direction du plafond. Ludivine a cru un instant qu’il allait se lever, lui interdire d’ouvrir la porte du bureau, avec sa façon bien à lui d’imposer son ordre, sa volonté. Pendant un instant, le père était le mirage dans le ciel, débarquant de loin, occupant l’espace de sa présence bruyante même quand il est silencieux, toujours là même absent, comme l’avion dans le ciel, qu’on entend mais qu’on ne perçoit pas, haut au-dessus des nuages, comme une éminence grise.

Avant d’entrer dans ce bureau interdit, Ludivine a conscience qu’il y a bien d’autres choses à faire de plus urgent : appeler un médecin, faire constater la mort du père, prévenir Réjane, s’attendre à un refus d’obstacle de sa part, prendre alors tout à sa charge, le matériel, le bordel de la maison, les piles de tout et de rien accumulées, beaucoup de rien surtout, et la tristesse, et la saleté, les souvenirs encore, la pitié d’une vie peu plaisante, la constatation d’un père dépassé, l’empathie des gènes errants.

Ludivine se laisse souvent guider par les signes ; c’est certainement ça que lui a soufflé cet avion dans le ciel, il y a d’autres choses à faire qu’aller fouiner dans ce bureau mystérieux.

Ludivine, le cœur gros, mais incapable de laisser une larme couler, sait à présent qu’il n’y a plus rien à opposer au père, il est vraiment parti, et, comme l’avion dans le ciel, il va longtemps laisser sa trace dans les battements sourds du cœur de Ludivine, ses paroles comme des prêches raisonneront longtemps au creux de ses tympans. Il a tissé sa toile ailleurs, il a comme franchi le Rubicon, rien ne sera à nouveau comme avant, irrémédiablement. C’est un peu tant mieux et beaucoup dans l’ordre des choses ; à présent, c’est elle, Ludivine, qui va décider de tout. Alors, elle  appuie sur la poignée de la porte du bureau.

Mais la porte est fermée à clé.

Décidément, c’est encore un nouveau signe ! Vraiment, il y a d’autres choses à faire qu’aller fouiner dans ce bureau mystérieux, ça se confirme. Alors, elle va s’atteler à les faire, ces choses. Elle va y consacrer des journées entières, épuisée chaque soir, remuée dans le tréfonds de son être pour tout ce qu’elle extraira de cette maison, d’objets, de souvenirs, de merdiers, mais satisfaite d’accomplir ces choses qu’elle rêvait de faire depuis toujours dans la maison désormais sans maître au perron écroulé et au portail grinçant ;  désencombrer, désengorger, nettoyer, balayer, astiquer, cette casa jamais pimpante pour autant…

Le décès est légitimement constaté, mais Réjane est injoignable, et la lourdeur de la tâche dont Ludivine doit faire face seule lui pèse excessivement. Pourtant, Ludivine le sait, elle en est certaine, tout sera fait, au fil des jours et des semaines, la disparition du père sera honorée et dignement célébrée, les problèmes seront résolus, les factures acquittées, la maison vidée à grandes pelletées, puis, elle sera mise en vente, Ludivine l’a décidé ainsi. Mais un maillon manque à la chaine, emprisonnant Ludivine dans l’inertie : Réjane reste injoignable, introuvable et sans elle, rien ne peut se décider.

Ludivine prend son mal en patience, elle tourne en rond dans sa vie, elle tourne en rond aussi quand elle revient dans la maison sans maître au perron déblayé et au portail toujours grinçant. Elle ne se sent pas pour autant maitresse de ces lieux, loin s’en faut, l’esprit du père y plane. Ce père parti reste un mystère, un regret, l’image d’un père insatisfaisant, loin d’avoir côché toute les cases du père idéal. Il est la cause de ses retenus et de ses empêchements. Tout autant que les révoltes et le silence de Réjane. Parce que, oui, la nature humaine a toujours besoin d’un bouc-émissaire, d’un responsable, une cause extérieure donnant des circonstances atténuantes pour ne pas avancer. Ludivine n’avance pas, elle reste coincée dans sa petite vie, cumulant les échecs amoureux, affublée d’un petit boulot sans intérêt et sans prétention, juste parce qu’elle est née au sein de cette famille si atypique, si explosée.

Dans le mot « famille », il y a « maille », comme le maillon qui emprisonne. Dans le mot famille, il y a aussi « faille », comme une fragilité, une défaillance. Ludivine vacille, balance entre emprisonnement et fragilité, à l’image de ce père qui derrière ces piles de détritus accumulés s’est enfermé au fil des décennies.

Ce qui désoriente Ludivine, ce qui la morcelle aussi au plus profond d’elle-même et au quotidien, c’est d’être issue de deux être si dissemblables, le père et Germaine, et pour les avoir fréquenté l’un et l’autre, de ne même pas les imaginer ensemble tellement ils sont antinomiques, tellement ils sont le jour et la nuit, tellement ils sont le soleil et la lune.

Aujourd’hui, c’est un jour ensoleillé, un jour de repos, la maison a été plus ou moins désencombrée. Ce qui apparait derrière les piles d’ordures, c’est une maison souillée, prête à s’écrouler, tout comme le perron de pierre depuis si longtemps affaissé.

Une seule pièce n’a pas été aérée, ouverte, nettoyée. C’est le bureau interdit dont la porte est fermée à clé et dont Ludivine n’a jamais trouvé la clé.

Ce jour-là, il fait beau, c’est un jour de repos, Ludivine se sent d’attaque pour affronter les fantômes du père dans la maison sans maître.

Et c’est à grands coup de pieds et d’épaules qu’elle parvient enfin à  ouvrir la porte du bureau interdit.

Ludivine découvre alors une pièce immaculée où la porte endommagée fait désordre. Rien n’a dû être dérangé depuis de nombreuses années, rien n’est à l’image du reste de la maison, rien n’est accumulé ni souillé, tout est dans un ordre impeccable et notoire. Ludivine y entre sur la pointe des pieds, le regard inspectant l’ensemble de la pièce, intriguée. C’est un lieu préservé, un lieu hors du temps, intemporel. Les volets sont fermés, mais une douce lumière passe au travers des interstices, insufflant à l’endroit une ambiance paisible et la possibilité  pour Ludivine de détailler aisément ce qui s’y trouve.     


Ah ah... La suite dans quelques jours ?😜 

Sandrine L

Ecrivant

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