Des gènes errants - Clap 57 - Les souvenirs affleurent (de peau)


Bonjour, la Smala-aller-de-l'avant (clap 57) 

Oui, il faut aller de l'avant, mais parfois il faut savoir revenir en arrière ! 😜
Alors, sache que, si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là - Clap 1 » ,  et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e et donc fidèle depuis le 4 septembre 2023, tu sais que cette histoire trace son chemin. Alors, ensemble, poursuivons-là...
Bonne lecture !

La précédente publication s'arrêtait comme ça : 
 " C'est là qu'elle aperçoit la porte, une porte qui communique avec une pièce dans laquelle elle n’est jamais entrée de sa vie ; c'est le bureau du père… ".


Le regard figé sur cette porte interdite, Ludivine reste prostrée près du père et les souvenirs remontent à la surface, des souvenirs qui la pétrifient. Ca l’emporte vers les périodes de leur vie où tout était encore en mouvement, juste en conscience de l’instant, elle, excessivement attentive aux réactions du père qui scandaient le rythme, le ton, l’humeur de la journée à venir.

Réjane et Ludivine, petites, occupaient la chambre et le bureau du premier étage, juste au-dessus de la chambre et du bureau du père, au rez-de-chaussée. L’humidité glaçante du lit quand il fallait se glisser dedans au moment du coucher ! Mais, c’était ainsi. Il n’y a jamais eu de chauffage efficient dans la grande maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé, pourtant pourvue de gros radiateurs en fonte. Il y avait juste la chaleur du corps et du repli sur soi. Le moindre rayon de soleil était alors une source offerte, un cadeau amplifié quand il était reçu de derrière une vitre. Alors, on recevait, c’était ainsi et suffisant.

Pas de toilette, dans la maison de maître, juste un pot de chambre dans la cave, un pot de cave... ll fallait affronter le froid de l’hiver ou le noir de l’été pour aller se soulager dans ce récipient en plastique posé dans l’angle gauche, à même le sol poussiéreux, en compagnie des araignées et autres insectes invisibles non identifiés mais dont on devinait l’éminence grise et noire dans les ténèbres de la grotte à peine éclairée.

Dans la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé, seule la cuisine était commune à tous, centrale et chaleureuse, le lieu de retrouvailles et de discussions, le lieu de partage de repas et de connaissance, le lieu aussi d’explosion de voix paternelle prêchant la bonne parole, la seule, l’unique. Comment peut-on l’accueillir différemment, cette voix magistrale, quand on est une petite fille attentive, peureuse, hantée par le froid, l’obscurité et par une mère absente dont on est issue quoiqu’il en soit, et dont on tente d’ignorer la moindre ressemblance pour faire plaisir au père qui vomit cette femme si ouvertement, si violement, le risque étant d’être rejetée aussi dans le cœur paternel. Ludivine écoute, Ludivine est obéissante. Elle a bien tenté de faire de sa vie une révolte, le jour où elle s’est enfuit, toute petite dans les rues de la banlieue, récupérée par la charcutière et son fils. Mais, cette liberté n’est pas pour elle, l’obéissance est de mise.

Il est interdit de rentrer dans les appartements du père, la chambre et le bureau juste sous leur chambre et leur bureau du premier étage. Ludivine a toujours obéi à cette interdiction, et quand le père se repliait sur lui-même, non pas à cause du manque de chaleur de la maison de maitre au perron de pierre et au portail en fer forgé, mais bien à cause des flammes de l’enfer de ses démons intérieurs, c’est là qu’il se cloitrait, dans ce bureau, au rez-de-chaussée. Lui aussi, longtemps, a dû les sentir, les effluves des parfums de Réjane balancées à travers la fenêtre par un de ses propres sales démons, un jour d’explosion, ce fameux jour où Réjane est partie et n’est jamais revenue. Impossible qu’il en ait fait abstraction ; de son bureau, la fenêtre aux volets jaunes pisseux toujours fermés, devaient laisser passer les senteurs obsédantes du souvenir, juste là, brisées au sol.

Ludivine, assise parterre, les yeux rivés sur la porte du bureau interdit, se souvient et la main du père, un peu tiède, est toujours dans la sienne.

Elle se rappelle des non-dits criés dans l’absence de mots, mais si douloureux de maux dans son corps. Cette façon bien à elle de se tenir, le dos courbé, comme si quelque chose allait lui tomber sur la tête, comme pour se protéger de ce quelque chose. Ces douleurs lancinantes aux épaules à force de fermer sa cage thoracique, ses peurs du noir de sous leur lit et dans la cave, lieu d’aisance pas si aisée à dompter ; pour éviter de côtoyer le sombre de la cave et le pot trônant dans le coin, Ludivine se retenait bien souvent jusqu’à l’heure de l’école, le ventre lourd, plein et douloureux, elle ne se plaignait jamais, pas de mot sur ses maux, le non-dit créant le maudit, si insidieusement. Et ce nez qui coulait continuellement, à force d’éternuements constants, à chaque saison. Et s’il ne coulait pas, il était obstrué, l’empêchant de respirer, embrouillant son esprit, sa vue, ses sens, la mettant dans le brouillard sur le chemin de sa propre vie.

Le jour où Ludivine est partie, ou plus exactement, le jour où le père lui a interdit l’entrée de la maison alors que Marc, son amoureux du moment, attendait dans la voiture que la lumière de sa chambre au premier étage s’allume, tous ces maux se sont envolés ;  plus d’épaules douloureuses, plus de sinus bouchés, mais toujours cette obsession d’un ventre trop gonflé.

Ludivine, les fesses sur le froid du carrelage, se souvient et la main du père, un peu plus tiède glisse de la sienne, alors qu’elle a toujours les yeux sur la porte du bureau défendu.

Et puis, est arrivée la révolte de l’adolescence, comme étouffée dans l’œuf. Ne pas faire de vague, ne pas faire de bruit. Et si il y a un vague bruit, c’est à l’extérieur, dans les fréquentations inavouables, le côtoiement de substances illicites, la proximité de la pègre, juste pour voir, juste pour aller du côté obscure de la vie, même si, l’adolescence fait voir à Ludivine que rien n’est vraiment obscur ni vraiment très clair, cheveux au vent à vélo dans les rues de banlieue, musique dans les oreilles, occupant les inquiétudes incessantes de son cerveau anxieux, le fil des écouteurs relié comme un cordon ombilical au lecteur de CD lourd au fond de son sac à dos. Par obéissance, par peur de ce qui peut advenir, se taire, jouer le jeu des non-dits, Ludivine excelle dans ce silence à elle-même. Ce sont les évènements de la vie qui l’on portée et quand elle regarde tout ça, derrière elle, alors que la main de son père refroidi peu à peu dans la sienne, une révolte sourde se soulève du fond de ses entrailles, enfin.

Elle peut désobéir, elle doit désobéir, le temps presse, sa mère n’est plus (après n’avoir jamais été), son père est mort et ne peut plus rétorquer.

Il est grand temps de ne plus perdre de temps parce que la prochaine sur la liste, et c’est dans l’ordre des choses, c’est Réjane, c’est Ludivine, dans l’ordre des choses les enfants meurent après les parents. Oui, dans l’ordre des choses. Mais avant, il faut vivre…

Il est temps de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière, et pourquoi pas commencer par une première désobéissance, pourquoi ne pas entrer dans le bureau proscrit ?

Il y a comme un éclair dans le cerveau de Ludivine. Elle lâche la main du père déjà rigide, s’appuie au matelas, se relève laborieusement, pétrie de crampes et de fourmillements dans tout le corps, puis une fois debout, se dirige vers la porte du bureau, pose la main sur la poignée froide.



Quel suspens, hein ?!!.... La suite dans quelques jours ?😜 

Sandrine L

Ecrivant

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