Des gènes errants - Clap 55 - Bien plus tard...
Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 55)
Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là », et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…
-
Allez…. C’est l’heure, tu vas pouvoir
manger !!
Ludivine a ouvert toutes les portes et les fenêtres. De l’air, de l’air !!..
Le portail en fer forgé de la maison de maître au perron écroulé, un jour, s’est ouvert, ou plutôt, lors d’un de ses passages hasardeux, Ludivine a tenté de l’ouvrir, et puis, il a cédé dans un grincement sinistre, tellement sinistre qu’elle avait bien failli faire demi-tour. Elle avait résisté à cette envie, avait franchi le pas vaillamment, avait longé l’allée le long de la maison pour atteindre l’escalier qui mène à la porte d’entrée, de l’autre côté.
Le saule pleureur était toujours là, courbé jusqu’au sol, échevelé, ratatiné, prestance égarée, pourrissant sur pied. A nouveau, Ludivine avait failli rebrousser chemin. Tout lui paraissait décrépi, tout lui semblait également beaucoup plus petit que dans son souvenir. Alors, elle avait chassé au fond d’elle la ferveur de l’émotion pour la mettre à sa juste place, toute petite, comme ce lieu qu’elle retrouvait, et elle avait pris son cœur à deux mains pour trouver le courage de continuer son exploration malgré sa folle indignation de tant de gâchis.
Elle avait monté l’escalier qui menait à la porte d’entrée. La marquise était toujours d’aplomb au-dessus, mais elle était devenue terne, sans éclat, déchue.
A ses pieds, pas de paillasson de bienvenue, juste une marche un peu érodée devant une porte entrouverte, comme si le père avait entendu le portail grincer et avait laissé la voie libre pour que Ludivine vienne, revienne à lui. Ludivine avait poussé la porte qui avait grincé du même grincement sinistre que le portail, elle avait franchi le sas entre la porte d’entrée et celle de la cuisine, jetant rapidement un œil à droite pour constater l’étroitesse de l’escalier qui mène aux chambres de l’étage.
La
cuisine était encombrée d’un fatras incommensurable, sombre, sale, et Ludivine
avait eu un haut le cœur en constatant l’odeur de renfermé associée à d’autres relents
indéterminables. Elle avait fait fi de tout ce désordre et résolument, elle s’était
avancée jusqu’au salon-salle-à-manger dont la porte était également ouverte,
tout aussi envahi de déchets non identifiés ; la maison était devenue
poubelle, elle avait perdu sa prestance de maison de maître, ce n’était plus qu’un
ramassis d’amoncellements.
Après le salon-salle-à-manger, au-delà d’un couloir, la chambre du père était également entrouverte. C’est sûr, le père avait laissé la voie libre, il voulait être visité, il voulait qu’on vienne à lui. De fait.
Quand Ludivine était rentrée dans la chambre où toujours, la même odeur
pestilentielle régnait, elle n’avait pas reconnu les lieux, et pour cause ! Cette chambre, elle n’y était jamais entrée, petite, cette partie de la maison
leur étant interdite, à Réjane et à elle. La chambre était spacieuse, mais si encombrée
et si sombre qu’elle n’avait même pas pu définir la couleur des murs envahis en
outre d’étagères bourrées à craquer de livres et de plein d’autres objets hétéroclites.
Elle avait juste aperçu une forme allongée sur le matelas, elle s’était
approchée et les yeux couleur noisette du père avaient croisés les siens,
couleur vert de gris. Elle, elle l’avait reconnu, amaigri et vieilli, mais lui,
il avait dit :
- Ah Réjane, c’est bien que tu sois là…
C’était comme le rêve qu’elle avait
fait quelques années auparavant, alors qu’elle retrouvait sa mère. C’est là qu’était
la prémonition, une maison à l’abandon et tout qui lui tombe sur la tête, y compris
ses espoirs d’être encore un peu dans le cœur du père. Non, le souvenir que la
mémoire du père avait gardé, c’était son aînée, celle avec qui le conflit était
permanent, celle qui avait laissé des traces. Ludivine avait toutefois tenté un :
-
Non, Papa, moi, c’est Ludivine…
Le père l’avait fixé, puis avait
détourné le regard, l’avait regardé à nouveau et avait dit :
- Ah oui… Ludivine….
Intérieurement, Ludivine avait soupiré, comme soulagée, chassant l’idée qu’elle n’avait pas été la première dans la mémoire
du père. Mais elle n’avait rien dit. Après tout, elle était bien née après
Réjane, rien de plus normal que le père évoque sa sœur en premier. Ludivine s’était
accrochée à cette pensée, le père se souvenait d’elle.
Depuis ce jour, elle revenait
régulièrement s’occuper de lui, même si, systématiquement, il l’appelait Réjane…
Voilà quelques années que ça dure, et rien n’a vraiment changé, si ce n’est la santé du père.
A présent, il est très souvent couché, impuissant et toujours taiseux, la porte de la chambre qui communique avec le salon encombré est toujours grande ouverte et de toute façon impossible à fermer. Les persiennes en sont closes, de sorte qu’on devine juste le contour des choses. De la porte, pour arriver jusqu’au vieux paddock de la chambre du père, on longe sur trois quatre mètres comme un couloir érigé d’une multitude de vieux magazines, de bouts de carton, d’objets difficilement identifiables. Une odeur prégnante, envahissante, nauséabonde prend toujours à la gorge et habite toute la maison. Toujours, comme au premier jour du retour de Ludivine. Le père s’indigne si quoique ce soit est dérangé. Quel joli jeu de mot ! " C’est celui qui dit qui y’est "… Ludivine ne peut pas s’empêcher, elle le pense mais elle ne dit rien.
Et à chacun de ses passages, Ludivine ouvre
grand portes et fenêtres. De l’air, de l’air !!
- Allez…. C’est l’heure, tu vas pouvoir manger !! crie Ludivine de la cuisine.
Aujourd’hui, le père est allongé plus lourdement que jamais sur son lit, derrière toutes ces piles vacillantes, établissant comme un rempart de protection. Son corps étendu, noué, fragile, à bout, creuse le matelas de ses os saillants.
Aujourd’hui, ça n’est pas le jour. Ses yeux noisette en forme d’amande fixent un point, au plafond. Là-haut, c’est la seule surface maculée de la chambre, le seul endroit où il ne lui a pas été possible de stocker tout son bric-à-brac. Eh oui, il aurait fallu que la terre marche sur la tête, que l’attraction terrestre n’existe pas pour pouvoir coller toutes ses possessions au plafond. La tête à l’envers. Les yeux fixes. Les pensées qui s’arrêtent. Marcher sur la tête. Ludivine ne peut pas s’en empêcher, elle le pense, mais ne dit jamais rien. Il marche sur la tête, depuis toujours. Elle le voit, du pas de la porte. Son regard est suspendu.
Juste à côté de l’ampoule électrique qui pend au bout d’un cordon blanc sale, une araignée tisse sa toile, faisant fi de l’attraction terrestre. En voilà une qui, en ayant réellement la tête à l’envers, tisse sa vie, sa toile, son destin et son festin, à sa mesure, à son rythme, sans se poser de question. Le père semble l’observer, légèrement de côté, de telle sorte que lorsqu’il la fixe, de son œil gauche, il doit la voir toute entière, alors que de son œil droit, l’arête de son nez doit en obstruer la vision. Mais il ne cligne aucunement des yeux. Rien n’est plus très grave, à présent. Son esprit semble s’être définitivement embrouillé, son corps à jamais dépouillé. Mais dès sa naissance, est ce que ça en a été autrement ? Né pour petit à petit se dépouiller de son for intérieur et au fil des jours, des mois, des années, fortifier un rempart incompréhensible, impénétrable entre lui et le monde. Il a consolidé ce mur autour de lui, fait de misère, de distance avec l’autre, de piles incommensurables constitués de bric et de broc.
Ludivine le constate, son cœur à elle s’emballe à l’inverse de lui, mais elle ne dit rien. Elle pense qu’à la différence de l’araignée qui tisse sa toile pour pouvoir se nourrir, sa toile, lui, il l’a construite pour pouvoir y mourir.
Oui, pour le père, à cet instant précis, Ludivine le réalise soudain et c'est pour ça que son cœur s'emballe, se nourrir ne lui importe plus.
La suite dans quelques jours ?
Sandrine L
Ecrivant
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