Des gènes errants - Clap 53 - Sur la route
Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 53)
Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là », et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…
Déjà, Germaine la presse :
-
Bon, alors on y va de suite. Demain je
dois me lever tôt.
Sans curiosité, juste pour la forme et
la politesse, Ludivine demande à Germaine :
-
Tu dois te lever tôt pour le travail ?
-
Oui, oui, dit Germaine évasivement, rassemblant
sac et manteau, commençant à enfiler ses chaussures après avoir ouvert en grand
la porte de l’entrée, signifiant ainsi à Ludivine qu’il ne faut vraiment pas traîner.
Il fait encore grand jour dehors. La
pluie? qui avait commencé à tomber aussitôt après que Ludivine soit arrivée chez
Germaine, a cessé à présent, laissant place à un ciel purifié. La température
est presque agréable, Ludivine respire les senteurs de la nature environnante,
cette odeur si particulière qui monte du sol quand il vient de pleuvoir et qui
en ville saisit les nez sensibles tant ces relents sont nauséabonds, mélanges
de pluie et d’excréments. Ici, ça sent bon, des arômes inconnus et puissants
qui remplissent agréablement les poumons de Ludivine, tout en lui apportant des
sensations inédites. Est-ce que ça sent le thym ? Le romarin ? Elle
ne saurait dire, elle n’y connait rien en plantes, elle qui a toujours vécu en
ville, même si la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer
forgé offrait un écrin de verdure sauvage au milieu de tout le béton
environnant.
Germaine semble réellement impatiente, elle
s’est déjà mise au volant de la vieille golf blanche garée juste devant la maison
mais elle a bien du mal à la faire démarrer ; elle s’y prend à plusieurs
fois, insiste en faisant tousser le moteur. On y est presque, ça crachote, ça pétarade
dans un boucan mécanique troublant le silence. L’odeur d’essence envahit
l’espace, effaçant soudain tous les doux parfums des plantes alentours. La
cacophonie, les odeurs désagréables ; on se croirait déjà au cœur de
ville. Ludivine rejette l’image de la cité polluée et imagine une ballade dans
les environs tout en se surprenant à regretter de ne pas avoir accepté
l’invitation de Germaine à rester dormir là. Elle chasse l’idée, ouvre la
portière côté passager où le siège est encombré de sacs que Germaine s’empresse
de balancer à l’arrière, afin de la laisser s’installer. Le moteur a enfin démarré
et ronronne à présent irrégulièrement. Dans l’habitacle, c’est un bazar
indescriptible, totalement à l’opposé de l’intérieur de la maison ; aux
pieds des sièges, des papiers et des bouteilles traînent au sol, le tout est
sale et peu engageant. Ludivine, mal à l’aise, pose son sac à main sur ses
genoux et quand la voiture commence à chauffer, elle entreprend d’attacher sa
ceinture de sécurité.
On quitte le hameau, tandis qu’un
silence poli s’installe entre elles deux, un silence poli où chacune sait que
leurs retrouvailles sont loin d’être réussies. D’ailleurs, quand se
reverront-elles ? Est-ce qu’elles sont prêtes à faire une place à l’autre
dans leur vie respective ? Elles habitent si loin l’une de l’autre. Que
Germaine soit dans l’obligation de raccompagner Ludivine, à l’air de bien
l’incommoder. Quand à Ludivine, elle ne s’imagine pas faire ce trajet régulièrement, métro,
RER, train, juste pour aller lui rendre visite, même si le lieu est
plaisant. La relation est à inventer, elles repartent de zéro après toutes ces
années. La distance n’aide en rien. Au fond, elles le savent bien. Et puis, au
milieu de tout ça, il y a Réjane. Réjane qui est apparue, tel un volcan au
milieu d’un terrain déjà bien aride, laissant à sa suite un mauvais goût de
lave et de cendre.
C’est d’ailleurs à son sujet que la
conversation entre elles se ré engage. Ludivine demande :
-
C’est Réjane qui t’a retrouvée,
aussi ?
-
Non, non… c’est…. moi…
Germaine a la voix grave et légèrement empâtée,
comme absente. Mais on dirait qu’elle regrette déjà sa réponse. Elle se tait.
Ludivine trouve étrange que Germaine ait engagé des recherches pour retrouver
Réjane, mais pas pour la retrouver, elle.
Germaine reprend d’un phrasé hésitant,
confirmant ce que pense Ludivine :
-
Mais… Si j’ai fait une recherche pour
Réjane, ben, c’est pa’ce que c’est l’aînée. Et je savais pas pour vous deux… Vos
relations...
-
Nos relations ? Quelles
relations ?
-
Oui, justement, je savais pas que vous
vous voyiez plus…. C’est juste quand j’ai eu des nouvelles de Ré… de ta sœur…
Et là, j’ai su que, toi, tu faisais des recherches pour me retrouver.
Germaine n’est pas bien claire, mais
Ludivine saisit l’essentiel de son propos. Elle lui répond :
- Ouais bref… tout est arrivé en même temps… On va dire que c’est les liens du sang qui ont parlé…
Germaine regarde Ludivine du coin de
l’œil, comme étonnée de la réflexion, mais elle enchaîne, allant dans son sens,
trébuchant toujours un peu sur les mots :
-
Ouais… On a beau dire… toute cette… ces
années à… loin, quoi… on est… Comment dire… Quand même, on est d’la même famille,
hein….
Ludivine sourit intérieurement, sans
acquiescer pour autant. Elle apprécie le paysage qu’elles traversent, sur cette
petite route de campagne. On ne soupçonne pas que seulement quelques kilomètres
les séparent encore de la ville.
-
Oh là, là, faut s’dépêcher, j’vais être
en r’tard, moi.
Ludivine regarde Germaine qui regarde
l’heure sur le tableau de bord. Ludivine avait compris que Germaine travaillait
le lendemain matin. Pourquoi cet empressement soudain, sur l’instant ? Elle n’a
pas le temps de lui demander que Germaine s’exclame d’une voix plus précise
cette fois-ci :
-
Oh, putain d’merde !...
Ludivine ne comprend pas pourquoi Germaine donne tout à coup un grand coup de volant sur la gauche, faisant virer de bord la voiture en une secousse saisissante qui les soulève de leur siège malgré les ceintures, comme si les roues s’étaient décollées de l’asphalte. Et c’est bien ce qui se passe dans les secondes qui suivent ; le ciel devient le sol, l’intérieur de la voiture un tambour de machine à laver, chaque objet un projectile dangereux. La conviction du malheur proche donne un vertige si intense à Ludivine qu’elle ferme les yeux dans un réflexe, laissant aller les choses, tout en s’accrochant fort, tendue sur son siège. Que faire d’autre, dans l’impuissance ? Quand la voiture part en tonneaux de l’avant, comme un soleil au ras du sol, tous les bruits creusent un sillon dans sa mémoire. Le verre fracassé, le poids de la tôle qui se déforme au contact du sol en un vacarme sinistre, le bruissement de la nature écrasée. Ça semble interminable, ça ne prend pourtant que quelques secondes. Puis, le moteur se tait, donnant plus de reliefs encore aux chocs sur la ferraille, aux bris de verre qui explosent, dans un dernier rebond. Quand tout se pose enfin, le silence s’impose, dans des effluves mêlés d’herbe fraichement coupée et d’essence répandue.
La suite dans quelques jours ?
Sandrine L
Ecrivant
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