Des gènes errants - Clap 47 – Un train, des rails.
Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 47)
Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là », et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…
Bonne lecture !
Ca
y est ! C’est dans quelques jours… Ludivine va retrouver sa mère. Elle se
sent un peu inerte, un peu sur la réserve, vidée de toute énergie, très angoissée
aussi. Le commissariat s’est positionné en médiateur, souhaitant s’assurer que
les retrouvailles soient consenties de part et d’autre. En tout cas, c’est ce
qu’il semble à Ludivine. On est certainement tombé sur un agent zélé qui a
outrepassé ses fonctions. Quoiqu’il en soit, le courrier que Marc lui a fait
suivre à l’adresse de sa petite chambre de bonne, est signé nominativement, et suggère
que les deux protagonistes se retrouvent à l’adresse et au jour indiqués. Voilà,
ce jour est tout proche…
Ludivine reste sceptique et ce scepticisme est alimenté par ses souvenirs et tout ce qu’elle a pu entendre depuis si longtemps à propos de sa mère, dans la maison de maître au perron écroulé et au portail fermé, unique canal d’information. Et puis, elle a l’impression que quelque chose va se mettre en travers de sa route à nouveau, comme quand elle avait déposé cet avis de recherche au commissariat et qu’en sortant, un automobiliste peu scrupuleux l’avait renversée et avait pris la fuite. Le numéro de la plaque d’immatriculation relevé par un témoin s’étant révélé erroné, les recherches n’avaient pas abouti. Mais Ludivine s’en contre fiche, elle estime qu’elle s’en est bien sortie, au final… Sauf si on considère que c’est à partir de ce jour que le gouffre de l’anxiété s’est ouvert à elle. Davantage de peurs, toujours plus d’angoisses, des pensées qui ressassent encore et encore. D’ailleurs, c’est surtout ça qui la dérange et qui lui pourri la vie, ces peurs accrochées à son esprit et ces pensées incessantes et perturbantes. Un rien fait fonctionner le processus. Si elle traverse une rue, elle regarde interminablement à droite à gauche pour être sûre qu’aucun véhicule ne va la percuter, on dirait qu’elle a développé un toc. Quand elle pense à sa prochaine rencontre avec sa mère, ses pensées vont vers le père, elle s’inquiète à l’extrême et c’est loin d’être une onction pour son âme qui s’emballe de plus belle… Va-t-elle devenir comme le père, irrégulier et imprévisible, un jour bavard un jour taiseux ? Est elle en train de développer un de ces gènes étiques et néanmoins monstrueux pour avoir réussi à réduire les perspectives de la vie du père à néant ? Est-ce que Ludivine est porteuse de ce gène errant de génération en génération ? Et puis, d’avoir retrouvé sa mère, que va penser le père le jour où il apprendra cette trahison ? Oui, sans en avoir jamais parlé avec lui, Ludivine sent qu’au regard de son père, rien que d'avoir fait la démarche constitue une haute trahison. L’apprendra-t-il un jour ? Et le père qu’elle n’a pas vu depuis si longtemps maintenant, que devient-il dans la maison de maitre au perron écroulé et au portail fermé ? Que fait-il de ses journées ? Est-il à cet instant enfermé dans le mystère de sa chambre sombre ou bien a-t-il les yeux perdus dans le vague, avachi sur un vieux fauteuil au fond de la cour ? Le reverra-t-elle un jour ? Est-elle vouée à ne jamais fréquenter ni son père ni sa mère en même temps, même si pour l’heure, ni l’un ni l’autre n’est vraiment dans sa vie, si ce n’est dans ses pensées ?
Quand
l’angoisse monte, elle reconnait d’emblée cette onde virulente qui parcourt sa
colonne vertébrale, arrive jusqu’à sa nuque, irradiant les quatre coins de son
cerveau comme les branches d’un arbre tendues vers le ciel, la faisant perdre
pied et raison, enclenchant subitement la peur de tomber, là, au sol, seule. Et
peut-être va-t-elle en mourir ? Ça n’est pas l’idée de mourir qui la
perturbe le plus, mais bien les douleurs probablement insoutenables qui précèdent
la fin, invariablement. Son cœur bat la chamade à un rythme insoutenable. Quand
ça lui arrive dans sa chambre de bonne, la seule façon dérisoire, éphémère mais
efficace de lui faire passer le cap, c’est de prendre Misti dans ses bras et se
laisser bercer par ses doux ronronnements, tout en appréciant la douceur de son
poil. Bien souvent, elle s’endort dans un sommeil lourd et profond comme un
refuge face à ses angoisses. C’est déjà ça.
Le grand jour est là. Ludivine est fébrile et incertaine. Mais elle est aussi très curieuse. Elle n’a même pas eu l’occasion de s’entendre directement avec sa mère, l’agent zélé s’étant positionné en intermédiaire et n’ayant communiqué qu’une simple adresse. Ludivine prend le courrier très officiel du commissariat pour argent comptant. Elle a réservé cette journée rien que pour ça. L’adresse qui y est indiquée n’est pas la porte à côté. Pour s’y rendre, Ludivine doit prendre le métro, puis le TGV. Et elle ressasse à nouveau, le métro lui rappelant Marc. Même si sa relation avec lui est résolue et libérée de toute culpabilité, dans le métro, elle repense à cette dernière rencontre, elle est d’ailleurs peut-être assise dans le même compartiment que celui où Marc lui avait tourné le dos dans une indifférence affichée.
Aujourd’hui,
il y a beaucoup moins de monde dans le métro. Chaque voyageur a sa place
assise. Ludivine a préféré le strapontin aux fauteuils en vis-à-vis. Elle est près
des portes, sans personne devant elle, ça lui va bien. Mais partout où se pose
son regard, tout est sale et triste, et les gens qui voyagent paraissent négligés,
abattus. Elle voit défiler les stations, le nez envahi des effluves nauséabonds
caractéristiques du métro ; ça sent l’acier brulé et l’œuf pourri. L’ouïe
de Ludivine n’est pas épargnée non plus lorsqu’à chaque station, la sirène stridente annonçant
la fermeture des portes résonnent comme l’annonce d’une catastrophe imminente.
Il ne lui en faut pas plus pour se mettre en mode alarme, sur la défensive,
tout au long du trajet en métro. Elle
sort de là, respirant à plein poumon comme si elle avait été en apnée
souterraine tout du long. Décidément, elle déteste le métro.
Le
TGV lui semble plus serein, plus propre et mieux fréquenté. Là, elle se détend
et confortablement installée à la place qui lui a été attribuée sur son billet,
elle commence à entamer le livre qu’elle a emporté pour l’occasion. Elle aime
lire mais ne prend pas le temps de le faire aussi souvent qu’elle le voudrait.
A la bibliothèque du quartier, elle a emprunté un ouvrage qui la renvoie à
Anna. Son cœur se serre à l’évocation de son amie disparue. Elle parlait
beaucoup de liberté et en référence, elle lui avait vivement conseillé de lire
Jonathan Levingston, le Goéland. C’était son livre fétiche. Ludivine avait aimé
le nom de l’auteur, court et mélodieux ; Richard Bach. Même s’il semblait
avoir un lien avec le célèbre Jean-Sébastien, Richard, lui, avait opté pour une
carrière de pilote d’aviation, puis s’était tourné vers l’écriture. Ce livre
avait eu un immense succès et lui avait fait connaitre la renommée. De fait, l’accroche
au dos de la couverture avait bien plu à Ludivine, même si ça ressemblait fort
à un livre pour enfant. Il y était écrit : « Décidément, Jonathan Livingston n'est pas un goéland comme les
autres. Sa seule passion : voler toujours plus haut et plus vite pour être
libre. Mais cet original qui ne se contente pas de voler pour se nourrir ne
plaît guère à la communauté des goélands. Condamné à l'exil, seul, Jonathan
poursuit ses découvertes, sans peur, sans colère. Il est seulement triste de ne
pouvoir les partager, jusqu'au jour où il rencontre des amis... Jonathan
apprend alors à briser les chaînes qui emprisonnent son corps et ses pensées. ».
Ludivine avait aimé la dernière phrase et avait bien reconnu l’esprit
libertaire d’Anna. Rien de moins pour emprunter l’ouvrage.
Ludivine
lit quelques instants, puis, manquant de concentration et bercée par le rythme
saccadé du train et les quelques discussions autour d’elle, elle dépose son
livre sur le siège vide à côté de son sac, glissant la lettre du commissariat
en guise de marque page là où elle a arrêté sa lecture. Son esprit vagabonde.
Germaine…
Sa mère s’appelle Germaine… C’est inscrit noir sur blanc sur le courrier du
commissariat. Décidément, elle ne s’y fera jamais, ce prénom lui semble
incongru, d’un autre temps et tellement vulgaire, tout comme le mot
« mère » dans son lexique personnel. Le métro puis le train pour
aller jusqu’à elle… Ca la renvoie au songe qu’elle avait fait quelques mois
plus tôt, celui où elle avait rêvé que pour retrouver sa mère, « elle
prend l’avion, le bateau, le tram, le vélo, tout ça dans le désordre, en un
joyeux bazar. Elle se déguise en globe-trotter »… La tronche du globe-trotter,
juste quelques stations de métro et un voyage en train, rien de bien folichon,
en vrai. Dans son rêve, sa mère est vétérinaire et pour pouvoir l’approcher,
son corps se transforme en un immonde serpent. Immonde, oui, c’est bien la
sensation qu’avait éprouvé Ludivine et rien que d’y songer, là, à nouveau,
assise et assoupie dans le compartiment du train qui l’emporte, elle a des
sueurs froides. Pour éloigner ces sensations inconfortables, elle reprend son
livre et tente de se concentrer à nouveau sur le voyage de Jonathan Levingston,
le Goéland. C’est peine perdue, rien ne fait diversion, si ce n’est cet
engourdissement bien connu et si doux qui l’enveloppe criant à tout son corps
de fermer les yeux pour dormir un peu. Elle n’est pas serpent, alors, sans
aucun doute, sa mère ne doit pas être vétérinaire. Quel métier peut-elle bien exercer ?
Ludivine a juste le temps de glisser son marque page dans son livre, de le
poser à côté d’elle et le sommeil l’enveloppe dans un bien-être doucereux où
rien ne peut lui arriver.
Enfin,
le train entre en gare. C’est annoncé par une voix nasillarde qui remplit les
wagons. Les quelques personnes autour de Ludivine s’activent, se lèvent,
raclent le sol de leurs bagages et de leurs talons. Elle émerge sereinement de
son sommeil refuge et quand le train s’immobilise, elle prend tout son temps
pour se lever au radar et descendre à temps sur le quai.
Ludivine, entourée des voyageurs qui savent de façon affirmée où ils vont, semble comme égarée et ce n’est que quand le train redémarre dans un bruit de ferraille qu’elle constate, soudain désespérée, qu’elle a laissé son livre sur le siège à côté d’elle. Dans le livre, la lettre du commissariat avec les coordonnées de l’agent zélé et l’adresse de sa mère…
La suite dans quelques jours ?
Sandrine L
Ecrivant
Aïe … visiblement un acte manqué.. 😞
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