Des gènes errants - Clap 29 – Hantée

 


Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 29)

Si tu prends la lecture de ces petits textes en cour de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ca part de là »,  et respecter l’ordre chronologique des claps…

Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que cette histoire a désormais pris son autonomie. Alors ensemble, poursuivons-là…

Bonne lecture !

 

« A présent, pour Ludivine, exit mère et sœur ; ces liens, sommes toutes familiaux, font des nœuds dans son ventre, enfouies qu’ils sont profondément, tuent, tués.

Réjane n’est plus visible à l’école. Personne n’en parle, c’est la loi du silence. Tout existe encore mais rien n’est jamais dit. Ainsi fonts les non-dits derrière les regards hagards du père et ceux fuyants de Manie. Panou, lui, se tait sans en penser moins mais c’est du pareil au même.

Désormais, tous les espoirs et désespoirs reposent sur Ludivine. C’est l’impression qu’elle en a. Elle se fait toute petite, courbe l’échine et le poids de ces espoirs et désespoirs pèsent lourdement sur ses épaules. A force, elles lui sont douloureuses, ses épaules. Elle sent leurs jointures, leurs articulations, leurs mobilités réduites, alourdies de tant de poids. Avec de telles douleurs lancinantes, difficile de prendre la vie à bras le corps. Mais Ludivine tait les inconforts dans son corps. Il y a tellement de trucs fragiles autour d’elle qu’elle ne veut pas en rajouter.

Alors, c’est le calme après la tempête. Le temps passe inexorablement, studieusement, silencieusement dans la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé. Ludivine sait ce que ça fait désormais de contrer les certitudes du père, de s’opposer à ce qui est.

Ludivine observe, comme elle a toujours fait. Elle garde en elle tout au fond les manques, les absences, les incohérences de ceux qui l’entourent et elle affiche plus souvent qu’à son tour un sourire de surface qui peut faire croire aux autres que tout va bien pour elle. Mais ça grince dans ses entrailles, tout comme les gonds du portail en fer forgé qui ne sont jamais huilés et qui font un bruit de plus en plus sinistre quand on entre et sort. L’avantage, c’est que quand on en entend les grincements, on sait pertinemment qu’on a de la visite. Ça permet au père de se cacher du moindre visiteur, de se retrancher dans ses appartements, lieu hautement interdit à Ludivine. Manie et Panou n’y vont jamais non plus.

Depuis que Réjane est partie, Ludivine occupe désormais seule la chambre du haut, avec des trous plein les placards. Ludivine pourtant ne s’étale pas, elle garde son espace d’antan ; on ne sait jamais si Réjane revient… Mais, forte de l’expérience de cette mère qui n’est jamais revenue et de la violence du départ de Réjane, Ludivine doute de l’éventuel retour de sa grande sœur. Pour autant, l’espace qui lui était attribué n’est pas empiété, son bureau reste vide et Ludivine, dans leur lit commun reste sur son côté droit, le soir quand elle se glisse dans les draps et couvertures gelés. La maison de maitre n’est pas chauffée et l’hiver, c’est difficile de se réchauffer seule dans le grand lit.

Cette chambre et ce bureau, c’est donc là  que Ludivine passe le plus clair de son temps quand il ne fait pas beau. En revanche, à la moindre apparition d’un rayon de soleil, elle sort dans la cour pour lire ou réviser. Cette année, c’est le baccalauréat. L’enjeu est colossal, d’envergure, plein de promesses comme un passeport pour un avenir radieux, alors même que le présent se fissure, tout comme la maison de maître ; le perron de pierre disparait peu à peu, envahi par les herbes hautes. Le gravier de la cour perd de son épaisseur, gagné qu’il est par les mauvaises herbes. Les garages loués il y a encore peu de temps sont à l’abandon, rouillent et se grippent sous l’humidité ambiante ; leur seul rôle à présent est de  constituer un rempart face aux habitations à loyers modérés qui s’érigent tout autour et  dont les balcons plongent directement sur la tonnelle jaune et la cour. Toute la végétation envahissante donne libre court à l’imagination de Dame Nature qui s’en donne à cœur joie et le père ne fait plus rien pour l’orienter estimant que c’est un combat de plus, un combat de trop. Il y a longtemps qu’il ne combat plus rien d’ailleurs. Il se sent impuissant devant l’ampleur du chantier, impuissant à batailler contre tous les vents contradictoires. Après tout, c’est probablement ça, être le maître du monde, laisser faire et que le meilleur gagne. La nature semble protéger en la cachant la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé, cette nature rampante et envahissante forme comme un écrin émeraude alors que tout autour, tout se bétonne ; les HLM ont pris la place des champs environnants, les pavillons autour poussent à foison, l’avenue juste derrière le portail en fer forgé déverse son lot de voitures polluantes tant par l’odeur que par le bruit.

Et le père continue à rester prostré, enfermé en lui-même, de plus en plus prostré, de plus en plus enfermé, quand Manie et Panou créent un semblant d’ambiance familiale normale. C’est à eux deux que Ludivine s’accroche instinctivement. Manie, c’est une mamie toujours là. Quant à Panou et sa grosse voix, il n’impressionne personne, mais Ludivine apprend toujours beaucoup avec lui. Manie et Panou s’aiment fort, pas de doute là-dessus. Le seul sujet qui les sépare et qui les heurte, c’est quand le père fait des siennes, figé dans son inertie. Manie trouve toujours des circonstances atténuantes à son fils quand Panou voudrait le remuer tout en ne faisant pas cas de lui.

Oui, Ludivine s’accroche à l’image d’une Manie et d’un Panou en harmonie. Dans la maison de maitre au perron de pierre et au portail en fer forgé, Manie et Panou représentent la vie quand le père l’inquiète. A l’extérieur, le béton, les voitures polluantes, le bruit, la bibliothèque, l’école et l’inconnu l’attirent tout en lui faisant peur.

Ludivine veut juste croire qu’elle baigne dans un univers normal, au cœur d’un écrin de verdure privilégié, perdu au milieu du béton.

Et puis un jour, pour se rendre à l’école, elle sort de la maison faisant grincer fort le portail en fer forgé. Elle entend des pas précipités courir derrière elle. Elle se tourne et reconnait qui arrive à sa hauteur ; c’est Nathalie, une élève qui est dans le même établissement qu’elle et qui habite un de ces appartements des tours environnantes.

-       Salut ! C’est toi qu’habite ici ?

-       Ben oui, pourquoi ?

-       Oh là là… J’ai toujours cru que cette maison était hantée… répond Nathalie, comme rassurée.

Dans un premier temps, Ludivine comprend « cette maison était en T ».  Et puis les fantômes prennent forme dans son esprit, donnant un mystère à l’écrin de verdure qui fait tâche au milieu du béton. Nathalie a probablement raison, c’est ce qui se dégage de ce lieu, certainement aux yeux de tous… Ludivine habite dans une maison atypique, hantée, intrigante, différente. Oui, inéluctablement, des forces pernicieuses semblent y avoir le dessus et définitivement, il lui semble bien que le père n’y est pas pour rien. »

 

La suite dans quelques jours ?

 

Sandrine L

Ecrivant

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