Des gènes errants - Clap 52 - La réalité
Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 52)
Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là », et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…
Et cette lourdeur constante au fond de
son ventre, c’est comme une culpabilité qui lui pèse, même si, après tout, voilà
plusieurs mois que le père n’a pas ouvert à Ludivine. Voilà aussi plusieurs
semaines qu’elle a renoncé à aller à la maison de maître au perron affaissé, pour
sonner au portail en fer forgé, sonner toujours dans le vide, un vide sidéral
et sidérant en guise de réponse, ça devenait trop épuisant. Un ras le bol
exprimé, voilà la raison de ce rêve, un trop plein d’insatisfactions constantes
qui ressurgit des profondeurs jusqu’à sa conscience, à l'instant où elle retrouve sa mère. A travers ce rêve, son
inconscient a affleuré la ligne de flottaison, tout en surface, prêt à émerger, et le raz de marée qui l’habite est
tellement prégnant qu’elle ne parvient pas à se débarrasser des sensations de
malaise qui lui collent à la peau. Si Ludivine pouvait diriger ses rêves, eh
bien, tant qu’à choisir, elle rêverait plutôt d’avoir des parents qui prennent
de ses nouvelles, des parents exempts de problèmes à régler et qu’importe s’ils
sont aussi séparés que la lune et le soleil, Réjane et elle restent les étoiles
qui scintillent dans le ciel, résultats d’enlacements brefs entre deux rayons
de clarté. Qu’importe l’intensité de ces rayons, qu’ils soient solaires,
lunaires, les étoiles qui en naissent en sont des poussières d’étincelles, des
lumières. Lumières, plus ou moins lumineuses, certes. Ludivine pense tout ça
tout bas, poétique et éthérée, ça l’aide toujours dans les moments difficiles,
mais jamais au grand jamais, elle n’arriverait à confier tout ça à cette femme
devant elle, cette femme qui lui fait office de mère. Ludivine se sent
décidément décalée par rapport à Germaine, même si parfois surgissent entre ses
attitudes et ses réflexions quelque chose de connu à ses yeux, dans le
physique, peut-être. Elle la regarde lui raconter ses fadaises, ses sensations,
ses certitudes de rêves prémonitoires. Elle se laisse convaincre que ce rêve en
est un. Elle a tellement besoin de se sentir épauler, qu’importe le bras tendu,
Ludivine en s’y accrochant, évite ainsi le bord du précipice. Le précipice de
toutes ses angoisses.
-
Si ça s’trouve, il lui est arrivé
quelque chose… répète Germaine, jouant parfaitement la comédie de l’inquiétude,
comme on le fait à un enfant à qui on raconte une histoire avant d’aller
dormir.
-
Oui, peut-être, mais qu’est-ce que je
peux y faire ? dit Ludivine, remarquant les yeux brillants de Germaine.
-
Il faut que tu en aies le cœur net,
répond Germaine, d’un air insistant, trop insistant peut-être.
-
Le problème, c’est que je n’ai pas
moyen d’avoir de nouvelle. A chaque fois que j’y vais, il ne me répond pas.
J’ai un peu renoncé.
C’est tout ce qu’elle parvient à dire à
Germaine. Elle n’a pas envie de lui parler du père, elle n’a pas envie d’étaler
tout ce passé lourd. Germaine reste silencieuse. C’est rare, Ludivine apprécie.
Germaine porte à sa bouche le verre qu’elle a à la main et en avale le contenu
d’un trait. Ludivine n’y a pas apporté attention jusque-là, mais ça lui donne
soif, tout à coup.
-
Je peux avoir un verre d’eau ?
demande-t-elle presque timidement.
-
Mais oui, répond Germaine se
précipitant maladroitement dans la cuisine.
Et soudain, du coin cuisine, Ludivine
entend :
-
Tu veux pas plutôt un p’tit verre de
vin blanc ?
Ludivine lève les yeux au ciel. C’est
surtout soif d’eau qu’elle a, là, sur l’instant. Avec ce malaise qu’elle a eu
avant de sombrer dans le sommeil, elle est plutôt inquiète, toutes ces
angoisses qui l’habitent lui donnent encore plus l’angoisse de ne pas maîtriser
la situation. Alors, avec de l’alcool en plus… Non vraiment, il ne lui
viendrait pas à l’esprit de boire la moindre goutte, et rien que d’y penser,
elle a envie de vomir. Elle répond juste stoïquement :
-
Nan, nan, juste de l’eau, ça ira.
Germaine revient toute empressée,
tenant un verre plein d’eau et du vin blanc dans un verre à ballon. Elle dépose
le tout sur la table basse devant elles et s’assied à nouveau dans le fauteuil
face à Ludivine qui s’est redressée sur le canapé.
-
Bon, entre le passage éclair de ta sœur
et toi qu’a ronqué comme une masse, moi, j’ai fini par manger un p’tit morceau.
Tu veux quelque chose, aussi ? Dire que j’ai cuisiné tout ça pour rien, j’vais
faire des p’tits sacs de congélation.
Ludivine ne peut s’empêcher de
constater que tout est « p’tit », chez Germaine, de fait, y
compris sa façon de s’exprimer ; dans cette p’tite maison, on boit un
p’tit verre de vin, on mange un p’tit morceau. Ici, c’est, sans plus de doute,
la maison d’une marquise déchue comme dans son rêve, il ne manquerait plus que
son verre d’eau se brise au sol pour donner raison à la prémonition. Alors, c’est
à deux mains et fermement que Ludivine prend le verre d’eau sur la table. Tout
en appréciant la fraicheur du liquide qui lui coule le long du gosier, elle
décline d’un geste de la tête la proposition de Germaine, non vraiment, elle
n’a pas faim. Germaine, elle, boit son verre de vin comme si c’était du petit
lait et enchaîne aussitôt d’une voix autoritaire et en fronçant les sourcils,
comme quand on donne un ordre à un enfant :
-
Faut garder les liens avec ton père.
Ludivine ne peut s’empêcher de trouver
cette réflexion déplacée de sa part, cette mère qu’elle vient de retrouver
après toutes ces années perdues… Mais pour se défendre de se sentir coupable au
fond, elle répond :
-
Oh, mais ça n’est pas moi qui ne veut
pas en garder, c’est lui qui ne me répond pas, je viens de te le dire…
Et, contre toute attente, Germaine
ajoute :
-
Faut pas oublier que y’a cette maison
dans l’histoire…
Ludivine ne peut cacher son
étonnement :
-
Qu’est-ce que tu veux dire par
là ?
-
Ben, je veux dire que faut pas perdre
le lien avec votre père parce que y’a cette maison qui vous revient de plein
droit, à toi et à Réjane.
Ludivine n’en croit pas ses oreilles.
Sans réfléchir, elle rétorque aussitôt, montant un peu le ton, se redressant d’avantage
sur le canapé, plantant son regard dans celui de Germaine :
-
Mais comment tu peux penser à des trucs
comme ça, toi ? Mais de quoi tu te mêles ? C’est du n’importe quoi.
Si je m’inquiète pour Papa, je m’inquiète pour Papa, pas pour la maison.
Qu’est-ce que j’en ai à faire de cette maison ? C’est sûr, c’est la maison
où on a grandi avec Réjane, mais à part ça…
Et comme chaque fois que Ludivine
exprime son ressenti en haussant un peu le ton, Germaine l’interrompt sèchement
et sûre d’elle lui rétorque :
-
A part ça, toi et ta sœur, vous en êtes
les héritières, quand même.
-
Oui, ben, ça ne te regarde pas, ces histoires.
Moi j’en ai rien à faire de tout ça. Et puis, Papa, il n’est pas mort, que je
sache.
Germaine l’interrompt à nouveau, en
prenant un ton espiègle :
-
T’en sais rien… T’as fait un rêve
prémonitoire, j’te rappelle….
-
Ah oui ? Si c’est vraiment un rêve
prémonitoire, la baraque, elle est bien mal en point… Et alors là, vraiment,
hériter d’un taudis, ça ne me dit absolument rien. Et puis, y’a pas de sujet,
toute façon…
Cette fois-ci, c’est Ludivine qui
s’arrête de parler, ne trouvant pas les mots devant le toupet de Germaine.
Celle-ci ne répond rien mais repart vers la cuisine, puis revient, son verre à
nouveau plein.
Ludivine en a assez. Elle est fatiguée,
elle sait le chemin qu’il lui faut parcourir en sens inverse pour rentrer chez
elle, train, RER, métro, et rien que d’y penser, elle est encore plus épuisée. Sans
compter que depuis qu’elle est arrivée dans cette maison, elle a gravit des
montagnes russes d’émotions, la curiosité et l’enthousiasme de retrouver sa
mère, la déception et l’agacement de la voir si peu comme elle l’imaginait,
l’étonnement et la surprise de retrouver
sa sœur, la déception à nouveau de constater l’écart entre ce que sont devenues
ces deux personnes par rapport à ce qu’elle avait gardé dans sa mémoire et dans
son cœur.
Aussi, quand Germaine comprend que
Ludivine veut rentrer chez elle, elle lui propose :
-
Si tu veux dormir là, tu peux… Mais si
tu veux que je te raccompagne, c’est maintenant, parce qu’après, ça va me faire
tard.
Ludivine ne relève même pas le manque
de chaleur. Toute curiosité pour aller à la rencontre de sa mère s’est évanouie.
Réjane et Ludivine ne sont pas son centre vital et primordial, elles ne le
seront jamais. Ludivine n’a pas la force de s’imaginer passer plus de temps
dans cette maison, devoir se réveiller au matin et tenir des discussions décousues,
dépourvues d’émotion et de sens, en sa compagnie. Elle n’a pas non plus la
force de rentrer seule en transport en commun. Alors, sans hésiter, elle
accepte que Germaine la ramène en voiture.
La suite dans quelques jours ?
Sandrine L
Ecrivant
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