Des gènes errants - Clap 51 - Entre rêve et réalité
Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 51)
Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là », et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…
Le portail en fer forgé s’ouvre
doucement sur l’allée de la maison de maître au perron de pierre. Tiens, ça ne
grince plus, tout est fluide ! La pierre du perron est d’un blanc immaculé,
tout comme le pavé de l’allée qui contourne la maison et mène au saule pleureur
de l’autre côté. Cet arbre est majestueux, ses branches aux dégradés de verts se
penchent au sol comme pour saluer la fenêtre de la cuisine tout prêt de l’escalier
qui monte jusqu’à la porte d’entrée. Une
marquise en verre flouté protège des intempéries le pas de la porte et le
paillasson accueille chaleureusement l’hôte d’un « bienvenu ! »
en lettres capitales. A l’intérieur, ça sent le pain grillé et le café. Dans la
cuisine, il fait chaud, tout est scintillant, dégagé, net, propre. Rien ne
traîne sur l’évier ni sur le plan de travail et les chaises sont alignées
autour de la table dans un ordre parfait. Sur une petite desserte, il y a un
immense bouquet de tulipes blanches dans un splendide vase nacré. Tout ronronne
y compris le chat tigré dans son petit panier tout près du radiateur. La porte
en verre poli est grande ouverte sur le salon-salle-à-manger. Les meubles y sont
lustrés, le luminaire au plafond brille de mille feux et le célèbre tableau de
Michel Ange, « la création d’Adam », trône au-dessus du piano droit
dont le couvercle est relevé, laissant apparaître des touches noires et
blanches, parfaitement noires, parfaitement blanches. Des rideaux écrus
s’ouvrent en un mouvement élégant sur une fenêtre aux vitres impeccables, vue
plongeante sur le perron de pierre d’un blanc pur.
Dans le salon, à droite, tout près d’un
canapé qu’on devine accueillant et moelleux, une deuxième porte identique en
verre poli s’ouvre sur un couloir. De l’autre côté, silence, c’est la chambre
des parents. Il est interdit de traîner par ici. La chambre des enfants, elle,
est à l’étage. Pour s'y rendre, il faut repasser par le salon-salle-à-manger,
traverser à nouveau la cuisine où il fait chaud et où l’odeur du pain grillé et
du café se fait le plus intense, monter l’escalier à gauche en sortant, franchir
un premier palier, passer l’angle pour atteindre le deuxième palier, ouvrir la
porte à droite, arriver dans une chambre spacieuse occupée par deux lits
semblables revêtus de voile de satin. La fenêtre est grande ouverte sur la cour
intérieure. Tout autour, la végétation est verdoyante, les haies coupées au
cordeau, ça sent bon l’herbe fraiche et le soleil brille dans un ciel intensément
bleu. On voit même la lune, là, de l’autre côté.
-
Tiens, pourtant, y a une chanson qui
dit « le soleil a rendez-vous avec la lune, mais la lune n’est pas là et
le soleil l’attend »… Qu’est-ce qu’elle fiche là, la lune ?... se
demande Ludivine.
Le ciel bleu ciel est incrusté
d’étoiles scintillantes. Il y en a même des filantes et de mer.
-
Des étoiles de mère ? se demande
Ludivine
Certaines étoiles ont même la forme de
dents de lait d’enfant, preuve évidente que la fée des dents existe ; c’est elle
qui envoie toutes les dents qu’elle a récoltées sous les oreillers des enfants,
direction le ciel, en une gerbe étincelante, la nuit comme le jour.
-
Tiens, pourtant, les étoiles, on ne les voit
que quand il fait nuit, non ?
Ludivine sait parfaitement qu’elle est
dans un rêve, même si certaines choses lui paraissent décalées, incohérentes.
Le simple fait de mettre le doigt dessus, c’est comme si ça rendait les choses
possibles, comme par magie. Les rêves sont magiques et Ludivine ne souhaite pas sortir de son rêve. Tout y
est idyllique, ce qu’elle y voit, ce qu’elle perçoit, ce qu’elle ressent, en
plus d’un intense sentiment d’Amour, avec un grand A : le soleil et la
lune visibles, la maison de maître entretenue, l’existence d’une chambre
parentale, des étoiles en plein jour, l’impossible possible, le possible
impossible. Seul bémol, dans son rêve, il n’y a personne, juste le chat tigré
qui ronronne dans son panier.
-
Au moins, il a le mérite d’être là,
lui, je peux le caresser pour me détendre… Trop bon ! se dit-elle rassurée.
Elle se demande quand même où ils sont
passés, tous… Mais le corps totalement alanguie, la question ne la tracasse pas
bien longtemps, si tant est qu’il y ait une notion de temps, et de cette incongruité, elle en a bien conscience aussi. Rien d’impossible n’accroche son esprit.
Tout est en ordre, tout est comme tout doit être. Elle se sent bien, là, allongée sur le cuir du canapé. La
musique classique alentour a été baissée d’un cran, mais ça ne la dérange pas.
Sur la ligne du sommeil, Ludivine sait pertinemment où elle est. Elle a une
profonde sensation de joie, d’enthousiasme, d’amour pour le canapé de cuir et
aussi pour la maison de maître au perron de pierre et au portail qui s’est
ouvert. Elle y retourne avec bonheur et volupté, heureuse et soulagée.
Mais….
Le portail en fer forgé s’ouvre dans un
grincement sinistre sur un espace envahi par les ronces cachant en grande
partie le perron de pierre écroulé. C’est à peine si on devine le chemin pavé
qui longe la maison tant il est recouvert de mauvaises herbes. De l’autre côté,
il ne reste plus que le tronc du saule pleureur sous la fenêtre de la cuisine, un vulgaire tronçon d'arbre qui n'a rien à faire là.
-
Il y a clairement absence de soin et
d’entretien, ici, ne peut s’empêcher de penser Ludivine, outrée, frustrée, déçue,
un grand vide dans la poitrine.
L’escalier qui mène à la porte d’entrée
est tout de guingois, la rambarde qui faisait, il y a peu, office de garde-fou,
n’existe plus.
-
C’est ça, ne peut s’empêcher de
constater Ludivine, « garde-fou », c’est une expression bien trouvée….
Elle pense au père, il parait qu’il est
fou, a dit Réjane, dans un lointain passé très proche.
La marquise a perdu toutes ses lettres
de noblesse…
-
Et ça ? Ça veut dire quoi ?
se demande Ludivine, perplexe….
Elle pense à sa mère, Germaine, qui
ressemble à s’y méprendre à une marquise déchue. Et juste à cet instant, elle
sent sur son corps une chaleur qui l’enveloppe.
Le verre flouté de la marquise censé protéger
le pas de la porte des intempéries a volé en éclat et les bouts de verre sont
encore figés dans le paillasson éculé. A l’intérieur, ça sent le rance et le
renfermé. Il fait extrêmement froid, humide, sombre et malgré l’obscurité, on
devine que tout est horriblement sale, encombré, désolant d’abandon. Il y a un
trou dans le mur entre la cuisine et le salon-salle-à-manger. Enfin… Entre ces
deux pièces qui faisaient, il y a peu, office de salon-salle-à-manger. Plus
aucun meuble, rien que des gravats, certainement dû au trou dans le mur. Pas un
chat, ne traîne dans les parages.
-
Pourtant, se dit Ludivine, distante,
y’aurait bien besoin d’un chat ici, vu le nombre de rats qui grouillent….
De fait, on entend des petits cris
stridents et dans la pénombre, des ombres au ras du sol se déplacent affolées à
l’approche des pas de Ludivine. On est loin de la représentation harmonieuse de
la peinture de Michel Ange, « la Création d’Adam ». On est ici, bien
plus proche de l’Apocalypse… Ça sent la mort, à mort…
Ludivine juge inutile d’aller à
l’étage, l’escalier n’existe plus et soudain, le toit de la maison lui tombe
sur la tête dans un fracas assourdissant.
Ludivine se réveille, en sueur et en sursaut, juste au
moment où Germaine lâche, dans la cuisine, un énorme :
-
Eh meeeeerde !!......
Mais
Ludivine, en sortant de sa torpeur a également poussé un cri, bien plus puissant.
Germaine surgit de la cuisine, affolée :
-
Oh là là, tu m’as fait peur, qu’est-ce
qu’il t’arrive encore ? Juste au moment où j’ai tout renversé dans la
cuisine !... D’un coup, je t’entends hurler. Avant, j’avais vu que tu
dormais, j’ai pas voulu de réveiller, j’t’ai mis une couverture. Mais là… j’ai
cru que quelqu’un t’attaquait…
Germaine regarde tout autour d’elle et
portant la main à sa poitrine, elle dit :
-
Qu’est-ce que j’ai eu peur !
Ludivine, elle aussi, encore sous le
choc, met un bon moment avant de dire :
-
J’ai fait un putain de rêve…
Germaine regarde Ludivine, intriguée et
curieuse :
-
Ah ouais ? Raconte ? Ça
devait être vraiment un sacré rêve, vu le cri que t’as poussé….
-
J’ai rêvé de chez Papa. Au début, la
maison, elle était impeccable, agréable, jolie même…
Germaine l’interrompt, bavarde soudain
très intéressée :
-
Mais oui, elle a toujours été jolie,
cette maison. Moi, j’adorais ! Spacieuse, bien conçue, calme. Après quand
on voit ce qu’est devenu le quartier, je doute qu’elle soit restée aussi calme.
Mais vraiment, c’était une maison agréable, à l’époque.
Puis, en regardant Ludivine sans
sembler inquiète à son sujet mais plus au sujet de la maison, elle
continue :
-
Et ? C’est toujours le cas, hein ?
Ah, c’est sûr, une baraque comme ça, ça s’entretient. Mais ton père, à
l’époque, il faisait plein de trucs. Pas assez à mon goût, mais bon…
Puis, elle s’impatiente :
-
Allez, vas-y raconte… Avec ta sœur et
son passage éclair, ton malaise vagal et tout et tout, on n’a même pas eu le
temps d’en parler…
-
Ben, dans mon rêve, en tout cas,
c’était la misère, après… Je sais pas comment expliquer… Mais, je sais pas…
J’avais l’impression… Une impression… bredouille Ludivine, perdue.
C’est dur de raconter un rêve, surtout
quand on est continuellement interrompue… Germaine s’impatiente à nouveau,
levant les yeux au ciel :
-
Une impression de quoi ? Vas-y
dis-moi…
Mais Ludivine reste figée. Elle regarde
Germaine et comme pour laisser planer le mystère, bien malgré elle, encore sous
le choc, elle dit lentement :
-
Une impression de déjà-vu….
Germaine la coupe à nouveau :
-
Ah oui, je sais de quoi tu parles. Ça
m’arrive souvent, ça ! L’impression d’avoir déjà vécu ce que je suis en
train de vivre. Et puis, hop !... Dès l’instant où on s’en rend compte, ça
part, comme ça, pffou…. y’a plus rien. Juste la réalité.
-
Oui, mais là, c’était un rêve. C’est
pas comme si je vivais vraiment un truc que j’avais l’impression d’avoir déjà
vécu. D’ailleurs, j’ai déjà vécu ce que tu dis… Mais non, là, c’était un rêve.
-
Ah ma fille ! T’es comme moi,
alors… lui répond Germaine, d’un air malicieux.
Ludivine a vraiment du mal avec cette
comparaison constante. Elle se défend d’être comme Germaine, cette mère sensée
être sa mère et qu’elle n’arrive décidément pas à appeler « maman ». Au
final, appeler sa mère « Germaine » pourrait lui venir plus
facilement, tant elle trouve que ce prénom moche lui sied à merveille. Et puis,
toutes ses réflexions, ses avis sur tout, ses questionnements qui partent dans
tous les sens, Ludivine, ça l’agace fortement. Pour couper court, elle dit d’un
air légèrement effrayé, comme si elle revenait sur terre :
-
En fait, y puait la mort, ce rêve…
Germaine, soudain, se pose sur le fauteuil
en face du canapé et dit, sûre d’elle :
-
Alors oui, t’es bien comme moi, tu fais
des rêves prémonitoires !... Moi aussi, je fais tout le temps des rêves
prémonitoires. Je rêve et paf ! Le truc, il arrive… T’as rêvé de la maison
de ton père ? Et tu dis que ça sent la mort ? Si ça se trouve, il lui
est arrivé quelque chose…
Soudain, en plus d’être extrêmement agacée de se voir toujours comparée à Germaine, Ludivine est envahie d’un doute profond et d’une culpabilité intense que les sensations désagréables du rêve rendent plus intense encore. Germaine a peut-être raison ; il est sans doute arrivé quelque chose au père, Ludivine le ressent jusqu’au fond de ses tripes.
La suite dans quelques jours ?
Sandrine L
Ecrivant
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