Des gènes errants - Clap 48 - Retrouvailles



Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 48 )

Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là »,  et respecter l’ordre chronologique des claps…

Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023 (un an tout juste cette semaine !😜), tu auras remarqué que, désormais, cette histoire  a bien avancé. Alors ensemble, poursuivons-là…

Bonne lecture !


Heureusement, Ludivine a bonne mémoire. Si ça avait été un numéro de téléphone, elle aurait été très embêtée ; Ludivine n’a aucune mémoire pour les chiffres, mais là, une adresse en toute lettre, c’est facile à retenir pour elle. Et puis, tant pis pour le livre ! Elle expliquera le cas à la bibliothèque. Peut-être qu’ils seront conciliants. Ou peut-être pas. Et comme Ludivine croit toujours en la bonne âme humaine, elle songe à l’adresse de la bibliothèque tamponnée sur plusieurs pages du livre ; probablement que la personne qui l'aura récupéré sur le siège du train le restituera. Ou pas. Voilà l’esprit de Ludivine qui repart dans les méandres de son imaginaire et de ses pensées sans parvenir à s’arrêter, mais elle est vite rattrapée par le fait d’être là, au sortir du train, à chercher comment se rendre à l’adresse de sa mère qu’elle a bien en tête. Dans cette histoire, elle a surtout perdu le numéro de téléphone et la ligne directe de l’agent zélé, mais, elle sait où se trouve le commissariat ; en espérant ne pas se faire renverser à nouveau par un automobiliste sans scrupule, elle pourra toujours s’y rendre pour le remercier. Ou pas.

L’adresse n’est pas bien loin de la gare. Il lui faut une petite demi-heure à pied pour y arriver. Une fois rassurée sur le trajet à emprunter, à nouveau, ses pensées se perdent jusqu’à se dissoudre peu à peu dans une forme de bien-être, au rythme de son pas. Marcher lui fait du bien. Mettre un pied devant l’autre lui vide la tête, l’allège. Avancer lui donne la direction, et là, à l’instant présent, sa direction, c’est l’adresse de sa mère. Elle va la revoir après toutes ces années, pas loin de dix sept ans... ça n’est pas rien !

Enfin, vidée de tout a priori, le corps léger, mais le cœur battant, elle parvient au lieu-dit.

C’est une toute petite maison de bois au milieu d’autres maisons de bois à l’identique, dans un espace entouré de bois. C’est calme, verdoyant. Il fait froid, le ciel est bas, le vent bruisse à la cime des arbres. Ludivine respire à plein poumons, appréciant le lieu, curieuse de l’instant. Devant la maison, une vieille golf blanche est garée de guingois, les roues mal redressées, des points de rouille à plusieurs endroits sur la carrosserie. Tout autour de la petite maison, des fleurs illuminent l’espace malgré le temps morose. Ludivine tape à la porte en bois, attend quelques secondes. La porte s’ouvre. Cette femme qui se tient devant elle, Ludivine la connait. Son visage surgit d’un passé lointain, flou, d’un autre temps. Elle est tout sourire, ce sourire-la aussi parle à Ludivine. Elle se croit dans un rêve. Le rêve parle, comme dans un brouillard. Germaine qui n’a pas la tête de son prénom, très vite, donne le ton, là, sur le pas de la porte. Elle prend Ludivine dans ses bras. Ludivine ne sait pas quelle attitude adopter. C’est si soudain… Répondre à l’effusion en la serrant plus fort, ou se laisser aller dans cette étreinte reçue ? L’hésitation se transforme en tension ; le corps de Ludivine se contracte. Rapidement, Germaine la lâche comme si elle l’avait sentie hésiter et puis, comme à une vieille copine, elle lui claque quatre bises rapides. 

-       Ah Ludivine, je le savais… lâche-t-elle d’une voix forte et grave.

Cette voix aussi, tout comme son visage, fait surgir à l’esprit de Ludivine un passé lointain, flou, d’un autre temps. Quoi ? Qu’est-ce qu’elle savait ? Devant l’air interrogatif, curieux et mal à l’aise de Ludivine, elle ajoute :

-       Je le savais qu’un jour on se retrouverait… Mais entre ! Entre voyons, il fait froid dehors. Tu as trouvé facilement ?

Germaine parle et parle et parle encore semblant vouloir combler le silence, effacer le malaise tangible du côté de Ludivine. Mais non, si Germaine parle tant, c’est sa façon à elle d’être, Germaine est bavarde. Ludivine parvient à lui répondre, entre deux questions, un peu stoïque, sur la réserve, oubliant presque que c’est sa mère qu’elle a là, devant elle. C’est sa mère, c’est vrai, elle la reconnait, elle connait ces yeux si perçants, sa façon de parler si précise et si curieuse de tout. Tellement curieuse que Ludivine ne peut s’empêcher de la trouver inquisitrice. Mais, mise en confiance par son aisance à l’accueillir chez elle, Ludivine se laisse porter. Un peu... Après tout, c’est sa mère… Est-ce que ce n’est pas le rôle d’une mère de porter son enfant ? Et c’est, à l’intérieur de Ludivine, tout un puzzle qui se met ou se remet en place. Cette façon de regarder, cette démarche, cette voix légèrement cassée et grave, tout ça réveille quelque chose au plus profond de son être. Oui, c’est sûr, la personne devant elle est tout à la fois, les racines du lilas, la douceur de son odeur, en une réalité bien présente.

Germaine tente de la prendre par les sentiments et avec un tout petit sourire, elle lui dit :

-       Tu as gardé le même air que quand tu étais toute petite…

-       Ah oui, répond Ludivine légèrement sur la défensive, quel air ?

Sans hésiter, Germaine répond, le regard planté dans le sien :

-       Tes yeux pétillants, cette clarté dans ton regard, tes cheveux toujours aussi raides…Et puis, tu es comme ta mère, tu as grandi juste ce qu’il faut.

Germaine a alors un grand éclat de rire sonore qui fait sourire Ludivine même si l’expression « tu es comme ta mère » reste la critique acerbe par excellence, celle qu’elle prenait comme une injure de la bouche du père dans la maison de maître au perron écroulé et au portail fermé, quand il la prononçait, souvent à l’encontre de sa sœur Réjane. Ludivine a sa mère devant elle, et somme toute, elle ne la trouve pas si critiquable.  Elle oscille… Aller vers elle ou pas ? S’épancher, s’installer, copiner, se laisser materner ou pas ? Elle regrette furtivement de ne pas avoir répondu à son accolade, sur le pas de la porte. Elle aurait dû la serrer plus fort, répondre à son étreinte, se relâcher, se décontracter. Elle observe Germaine… Ah ! Ce prénom, non vraiment… elle n’arrive pas à s’y faire. Et s’il faut qu’elle l’interpelle, comment va-t-elle faire ? On n’appelle pas ses parents par leur prénom. Ca ne lui serait jamais venu à l’idée d’appeler le père Dan. Tout aussi bien, appeler Germaine « maman » lui parait incongru et totalement inadapté.

Ludivine observe l’intérieur de la maison de bois aussi accueillant qu’un chalet. C’est cocoone et l’essentiel y est. On entre de suite dans la salle à manger où une table recouverte d’une discrète nappe en tissu, occupe tout l’espace. Contigu à la salle et sans séparation, un coin détente laisse apparaître un canapé rustique et un fauteuil assorti, une table basse épaisse en bois brut sur laquelle traînent quelques magazines féminins. L’ensemble de la pièce est minuscule et les meubles qui l’occupent semblent disproportionnés au regard de la surface disponible. Il y fait un peu sombre, la seule fenêtre étant celle qui donne sur la vieille voiture que Ludivine avait remarqué en arrivant, près de la porte d’entrée. Çà et là, des petites lampes allumées un peu partout dispensent une chaleureuse ambiance qui détend Ludivine, la réconforte. Elle se surprend à trouver la rencontre agréable. Sur un léger fond musical d’un morceau que Ludivine reconnait comme du classique, elle entend Germaine lui demander :  

-       Alors, raconte-moi ? Qu’est-ce que tu fais dans la vie, Ludivine ?

Germaine est réapparue du coin cuisine d’où elle s'était éclipsée quelques instants ; elle a probablement quelque chose sur le feu. De fait, ça sent excellemment bon dans toute la maisonnée et la table est mise. Ludivine a comme l’impression d’être attendue, accueillie… ça la rassure, elle se sent légitime, même si elle perçoit que Germaine a un léger détachement à son égard. Peut-être que c’est de sa faute, à Ludivine… Elle ne parvient pas à être totalement relâchée. Elles sont assises face à face dans le coin salon, Ludivine sur le canapé, Germaine sur le fauteuil lui faisant face. La rencontre devient vraiment agréable et confortable. Ludivine répond :

-       Oh, bah, je travaille. Avant j’étais caissière et puis depuis pas longtemps, je suis dans une boulangerie, je suis vendeuse. J’étais avec quelqu’un, Marc, et puis ça a pas marché…

Mais Germaine la coupe :

-       Et ton père ?

Ludivine regarde sa mère surprise, stoppée dans son élan de confidence. Germaine lui demande de ses nouvelles, écoute à peine sa réponse et aussitôt, dévie la conversation sur le père.  Même si elle n’a pas grand-chose à dire sur sa propre vie, Ludivine se sent vexée, mais ça ne dure pas bien longtemps. Le père… ce père dont elle n’a jamais parlé à personne, que personne ne connait tant il s’enferme en lui-même, aujourd’hui, quelqu’un lui demande de ses nouvelles. Et ce quelqu’un, c’est sa propre mère. Mais Germaine enchaine aussitôt :

-       Il est toujours aussi…. Comment dire ?.... Imprévisible ? Tu le vois de temps en temps ?

Ludivine comprend qu’il va falloir s’y faire. Germaine a toujours plusieurs questions à poser en même temps.

-       Imprévisible, ouais, on peut dire ça… Disons que moi, j’ai jamais trouvé mon père normal.

Elle lève quatre doigts, comme pour mettre le mot normal entre parenthèse.

-       Ah bah, ça, c’est pas nouveau… Déjà à l’époque, il était atypique, c’est bien ça qui m’a plu chez lui. Au début. Et puis de toute façon, ça n’est pas qu’il est pas normal, c’est juste qu’il est malade et violent. Mais bon, il a fallu que je parte pour m’en rendre compte… Quel soulagement ça a été pour moi…

Ludivine ne peut s’empêcher de l’interrompre, et pour une fois que c’est dans ce sens, à bas le respect dû aux parents ! C’est plus fort qu’elle, Ludivine hausse le ton en démarrant au quart de tour, au risque de se faire reprendre :

-        Ah ouais ? Et toi tu pars, t’es soulagée et tu nous laisses, Réjane et moi, avec lui malade et violent ?

Mais Germaine reste sereine et se défend tranquillement, à peine surprise de la réaction de Ludivine :

-       Non, non, je n’vous ai pas laissées seules avec lui, y’avait vos grands parents. Et puis je n’vous ai pas laissées, j’ai tenté plusieurs fois de venir vous chercher…

Soudain, Germaine est interrompue par des coups tapés à la porte. Elle se lève promptement pour aller ouvrir.

Ludivine se lève à sa suite, encore sous le coup de ce que vient de dire Germaine et réalise alors que sur la discrète nappe en tissu de la table de la salle à manger, il n’y a pas deux couverts dressés mais trois.


La suite dans quelques jours ?

 

Sandrine L

Ecrivant

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