Des gènes errants - Clap 46 – Nouvel horizon

 


Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 46)

Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là »,  et respecter l’ordre chronologique des claps…

Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…

Bonne lecture !


(Contexte du précédent texte : Ludivine vient d'apprendre que Marc a fait une tentative de suicide)

-         Ah bah c’est bien, il a eu ce qu’il voulait ; il va être réformé, du coup…

-      Non, non Ludivine, il a pas fait ça pour ça, il a fait ça parce qu’il est malheureux que tu l’aies quitté.

Ludivine se crispe, elle sent l'urgence de mettre un rempart entre ce qu’elle entend et la culpabilité toujours bien ancrée qu’elle ressent. Et  puis, il y a cette fichue incertitude d’avoir fait le bon choix, ça lui tourne la tête, tout ça. Alors, elle se défend et répond d’un air qu’elle veut toujours affirmé :

-       Ouais, enfin, on en avait déjà parlé, il ne voulait pas faire son service et il était prêt à tout. Alors, je veux bien qu’il soit malheureux à cause de moi, mais ça tombe bien, tout ça.

-       Comment ça, ça tombe bien tout ça ?

Et puis, d’une toute petite voix, Josiane lui dit :

-       Alors, c’est sûr, tu ne veux vraiment pas revenir avec lui ?

Devant la voix de Josiane remplie de peine, Ludivine se sent vaciller, soudain très incertaine.

...

Mais elle se ressaisit et lui répond  :

-       Ah non, ma décision est prise, non vraiment, je veux bien qu’on reste ami, mais non, je ne veux plus vivre avec lui, Josiane.

-       Mais lui, il est amoureux de toi, tu sais… C’est pour ça qu’il a attenté à ses jours… Il ne va pas vouloir rester juste un ami pour toi…

Josiane et ses expressions désuètes… « C’est pour ça qu’il a attenté à ses jours »… Avec le fil du téléphone… quel héroïsme ! Il ferait mieux de ne pas trop s’en vanter, c’était perdu et raté d’avance. Et puis tiens, Ludivine ne s’est pas informée les circonstances de l’échec… La prise se serait-elle débranchée ? Le téléphone serait-il tombé et suite au vacarme, tout le monde serait-il accouru pour le libérer des nœuds du fil ? Quelles séquelles en a-t-il gardé ? Une marque autour du cou tout au plus, sans doute. Marc doit avoir une marque au cou, du coup. Elle rit intérieurement de la situation et de ses jeux de mots à deux balles… C’est sa façon à elle de faire diversion dans sa tête mais bien sûr, elle ne dit  rien de tout ça à Josiane, elle lui répond juste :

-       Josiane, vous le savez bien que l’idée de faire son service militaire, ça le mettait dans un sale état. Il voulait se faire réformer P4, eh ben, il a réussi…

La conversation tourne en rond ; elle parvient enfin à raccrocher, repoussant le plus possible cette culpabilité qui lui colle à la peau et dont Josiane ne se prive pas de lui insuffler dans chacune de ses remarques. La culpabilité au sujet de Marc. Déjà qu’elle porte en elle la culpabilité au sujet de son père. Tous les sujets sont bons pour qu’elle se sente coupable, responsable de la misère du monde…

Les jours suivants, elle pense beaucoup à Marc, elle songe à l’appeler, à prendre de ses nouvelles, mais c’est contraire à sa décision et tout ce qu’il s'est passé depuis : l'annonce de son souhait de le quitter, leurs multiples désaccords, leur séparation houleuse, la location de cette chambre de bonne et les frais engagés qui sont considérables au regard de sa situation financière fragile… Revenir en arrière ? Non, malgré tout, non, elle ne veut pas revenir en arrière.... Mais elle ressasse, elle songe et déroule leur vie ensemble, vacillant encore et encore, obsessionnelle et anxieuse à l’extrême, avec cette sensation qu’elle commence à bien connaître mais à laquelle elle ne s’habitue pas, cette sensation qui la traverse de la tête au pied, cette onde d’angoisse qui remonte le long de son dos pour atteindre sa nuque et envahir toute sa tête, lui faisant penser qu’elle va perdre la raison, ou qu’elle va tomber, là, au sol, seule. Jusqu’à mourir peut-être ? Ca n’est pas la mort qui l’angoisse, c’est ce qu’il faut traverser de douleur et de mal être, auparavant… Et l’unique façon qu’elle a trouvé pour se calmer quand elle est dans sa chambre de bonne, anxieuse à l’extrême, c’est de prendre son chat Misti, dans les bras. Alors ça passe.

Quand elle sort de ces moments d’anxiété qui retentissent dans tout son corps, si tant est qu’elle en sorte, Ludivine se pose toujours et encore des questions. Et tout peut recommencer, tant les sujets sont multiples… Aurait-elle de qui tenir ? Va-t-elle devenir comme le père ? Est-elle porteuse de ce gène étique et invisible mais si monstrueux qu’il a réduit à néant les perspectives de la vie du père. Est-ce qu’il s’agirait d’un de ces gènes errants qui pourrait se transmettre de génération en génération ? Rien que de penser vivre la vie du père, elle reconnait l’onde qui va la submerger à nouveau, l’envahir tout entière, pour monter le long de son échine jusqu’à son cerveau. Et ça continue dans sa tête… Que devient-il d’ailleurs, le père ? Quand le reverra-t-elle ? Mais le reverra-t-elle ? Que fait-il à cette heure-ci ? Est-ce qu’il est enfermé dans sa chambre ou bien reste-t-il avachi sur le vieux siège au fond de la cour de la maison de maître au perron éboulé et au portail fermé, les yeux dans le vague. Il est tard, et même si cette culpabilité-là l’habite de fond en comble, elle chasse tout ça d’une caresse sur le poil soyeux de son fidèle chat et plonge dans un sommeil sans rêve, ni cauchemar. Le sommeil est son refuge, c’est déjà ça…

Au réveil, son esprit se tourne vers Marc. Elle est toujours à réfléchir, toujours à cogiter, c’est comme un petit moulin dans sa tête, dont les pensées, comme le vent ou le courant de l’eau, alimentent la rotation des pâles. Et ça tourne, ça tourne… Elle pense à son père et ses désordres psychologiques jamais soignés. Quelle force jamais déployée faudrait-il qu’elle engage pour sauver le père ? Elle ne sait pas, de toute façon son père ne veut plus la voir, elle refoule l’idée, ça lui met les larmes aux yeux. Et puis elle songe à Marc à nouveau. Elle pense à lui en allant au boulot, elle pense à lui en prenant le métro. Soudain, une silhouette devant elle, sur le quai… Cette démarche automatique, cette coupe de cheveux hirsute, ce bleu de travail taché de noir. Elle court après la silhouette qui avance à grandes enjambées, arrive à sa hauteur, parvient à lui toucher l’épaule. Oui, c’est bien lui. C’est Marc. Voilà plus de trois mois qu’ils ne s’étaient pas vu. Au contact de la main de Ludivine, il se tourne, surpris, troublé. La foule dépasse leur duo figé, certains se précipitent à l’intérieur des wagons. La sonnerie de la fermeture des portes retentit dans un bruit strident qui vrille les oreilles et les nerfs. Marc sursaute en reconnaissant Ludivine, la fixe une fraction de seconde puis son visage forme un rictus, celui du dégoût, celui du rejet. C’est tout juste s’il ne lui crache pas à la figure. Il n’hésite pas une seconde, se lance dans la rame de métro avant que les portes ne se referment, lui tournant le dos, l’ignorant ostensiblement.

La rame démarre, Ludivine reste seule sur le quai, croyant un instant avoir fabulé. Marc… Depuis quelques jours, elle ne pensait qu’à lui dans un grand sentiment de culpabilité, et puis, voilà qu’elle le rencontre au milieu de la foule et qu’il lui dévoile sa haine. Elle y reconnait un signe. Un signe évident : il a certainement tourné la page. Et puis, il n’en faut pas plus à Ludivine pour la tourner elle-même. A cet instant précis et les jours à venir, Ludivine se sent libérée de Marc.

 

Quelques semaines plus tard, c’est Marc qui l’appelle, un soir. Elle en est surprise et à la fois inquiète. Avec toute la haine qu’il lui a montré sur le quai du métro, l’autre jour, s’il l’appelle chez elle, c’est qu’il est arrivé quelque chose à Josiane. C’est sûr.

-       Non, je t’appelle pas pour ma mère, répond-il à sa question inquiète.

Ludivine sent une légère insistance sur les mots « ma mère », elle reconnait son côté possessif et en sourit intérieurement. Et puis, elle comprend pourquoi cette insistance. Il lui dit :

-       Bon, ben voilà, t’as quitté ton mec, mais tu vas pouvoir revoir ta mère ; tu as reçu un courrier du commissariat.

-       Ah, répond-elle sans qu’aucun autre mot ne parvienne à sortir de sa bouche.

-       Tu vas être contente… poursuit Marc

Mais Ludivine l’interrompt :

-       Tu l’as ouvert ?

-       Quoi ?

-       Ben, le courrier…

-       Ouais… Sinon, je te dirai pas ça. Y’a un numéro de téléphone. Tu notes ? répond-il sèchement et rapidement.

Ludivine est à nouveau sans voix, mais elle s’empresse de noter les coordonnées que Marc lui dicte, de peur qu’il ne raccroche de suite après. Et c’est bien ce qu’il fait. Elle pose le combiné du téléphone sur son socle, son cœur fait des bonds dans sa poitrine et c’est si fort qu’elle en a comme la nausée. Elle sait que cette nuit, malgré la chaleur, le soyeux et les ronronnements de Misti, elle ne parviendra pas à s’endormir, dans sa chambre de bonne, elle ne pourra pas sombrer dans un sommeil refuge, trop excitée des perspectives à venir ; elle va sans arrêt imaginer les retrouvailles avec sa mère.

Au sujet du passé, à propos du futur, c’est incroyable comme tout est sujet à ressasser. Mais sur l’instant, là, elle est sans père ni mère. Et sans voix...


La suite dans quelques jours ?

 

Sandrine L

Ecrivant


 


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