Des gènes errants - Clap 42 – Egarement
Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma
(clap 42)
Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là », et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre
2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors
ensemble, poursuivons-là…
Bonne lecture !
Ludivine est allongée sur le canapé du salon. Elle songe à sa mère. Pour l’heure, elle n’en a qu’un souvenir olfactif enfoui, fugace, une douceur de fourrure, des sensations à fleur de peau rangées hermétiquement dans son cerveau et tout au fond de ses entrailles. Seules la senteur du lilas et la douceur d’une couverture sous ses doigts sont susceptibles de la rappeler à son bref et lointain souvenir. Et puis, les critiques aussi, tout ce qu’elle a entendu à son sujet dans la maison de maître au perron éboulé et au portail fermé. Elle se méfie de ses souvenirs ; ils peuvent avoir été plantés dans le terreau de sa mémoire, à son insu…. Elle a toujours ce sentiment que le mot « maman », c’est un gros mot, vouloir la retrouver, une rébellion.
Malgré
ce, Ludivine veut retrouver sa mère, c’est décidé. Elle a cette occasion de
lever le voile léger de l’abandon et savoir ce qui se cache derrière. Anna,
elle, elle est morte, elle ne reviendra pas, il n’y a plus rien à espérer. Sa
mère, elle, elle est quelque part, tous les espoirs lui sont permis. Pour la
retrouver, Ludivine veut décider du lieu et du moment, même si tout au fond
d’elle, au fond de ses entrailles, une forme d’impatience la projette hors de
l’instant, hors de son canapé.
Cependant,
elle ne bouge pas, épuisée de sa semaine, de ses allées-retours et de toutes
ses émotions. Elle ne bouge pas et ça va avec son besoin de se faire discrète. La
discrétion, ça a toujours été son fort. Aucune raison que ça ne change. Elle ne
veut pas s’imposer. Déjà, dès sa naissance, en arrivant fille, elle avait
désobéi ; c’est un garçon qu’on attendait. Arriver à la vie sur une
déception oblige à prendre le moins de place possible. Et puis, ensuite, Ludivine
a grandi dans l’espace restreint que le père et ses démons ont bien voulu lui
laisser. A présent, livrée à elle-même, dans les murs de son petit appartement,
en compagnie de Marc, elle rêve d’étendre cet espace restreint bien au-delà.
Pourquoi pas en élucidant le mystère de la disparition de sa mère ? Et
puis, si cette dernière est morte, Ludivine saura la reléguer au même rang
qu’Anna, morte, qui ne reviendra pas et pour qui il n’y a plus rien à espérer,
juste, et c'est déjà énorme, les vides de l’absence à combler…
Soudain,
elle s’insurge ; après tout, si elle est encore vivante, sa mère aussi aurait
pu se mettre à sa recherche, exploser les barrières de la maison de maître au
perron éboulé et au portail rouillé ! Or, rien ne s’est passé depuis plus
de 15 ans. Alors, Ludivine se sent dans l’obligation d’attendre encore patiemment
le moment où enfin, elle sera en mesure de la rencontrer. Et puis, pourquoi ne pas
y associer Réjane, Marie-Jeanne, sa sœur dont elle n’a pas de nouvelle non plus ?
Elles feraient toutes les trois une trinité unie et forte face au maître tout
puissant de la maison qui s’écroule et dont le portail n’ouvre plus à personne.
Ludivine
s’assoupit sur son canapé. Elle rêve sa vie sans que sa vie ait la magie du
rêve, et dans ses rêves, elle se donne tous les pouvoirs. Rien de plus normal.
C’est à ça que servent les rêves ; dépasser la réalité. Elle imagine sa
mère comme une part manquante d’elle. Et même si cette personne dont elle est
issue est une femme de mauvaise vie, alors, Ludivine veut bien accepter d’en
être aussi. Pourvu qu’elle sache de quelle autre moitié elle est constituée.
Ludivine
s’enfonce encore plus dans son canapé ; est-ce réellement son imagination
ou bien la réalité imaginée ? Dans son petit appartement, alors que Marc
s’escrime à jouer les DJ dans la chambre, Ludivine plonge encore plus dans ses rêveries,
seule dans le salon. Et pour retrouver sa mère, elle prend l’avion, le bateau,
le tram, le vélo, tout ça dans le désordre, en un joyeux bazar. Elle se déguise
en globe-trotter, un chapeau aux bords larges sur la tête, voyageuse de grands
chemins, sans peur et sans reproche. Elle se sent prête à avaler des montagnes
de kilomètres, au moins pour l’apercevoir, lever le voile de l’illusion, ce
voile bien plus léger que le voile épais du mystère de la mort. Le chemin est
long, cahoteux, parfois escarpé sur des vides sidérants, des paysages
flamboyants. Ludivine se sent toute petite au milieu de la grandeur du monde et
de la tâche si vaste à accomplir. Mais c’est enthousiasmant, cet espoir qui
part dans tous les sens, aux quatre coins du monde…
Tout
à coup, elle a la sensation très nette d’être amputée de tout son côté gauche,
alors que tout son côté droit est en train progressivement de se tétaniser et
de se refroidir. Elle tente de courir, encore et encore pour arriver là-bas… Mais
où ? Comment est-elle ? Comment faire ? Pourquoi cet
éloignement ? Pourquoi tout ça ? Les portes sont fermées et son corps
lui fait mal, partout. Elle est fatiguée de tout ça. Elle s’enfonce encore plus
dans le moelleux de son canapé, dans un sommeil cotonneux.
Enfin,
elle arrive à l’endroit qui lui a été indiqué. Indiqué par qui ? Indiqué
par quoi ? Encore là, il y a un vide sidérant. Elle y est, simplement. Elle
se sent attirée irrésistiblement par une force qu’elle ressent plus forte que
le sont ses résistances, ses incapacités et les interdits. Son corps ne lui
répond presque plus. Elle y est cependant,
mais il lui faut attendre encore un peu. Justement, elle se trouve dans une petite
salle d’attente. Elle a pris l’avion, le bateau, le tram, le vélo, tout ça dans
le désordre, en un joyeux bazar. On lui a pris son corps, mais elle garde toute
sa tête. Elle est tellement bien dans le moelleux du canapé et dans le
cotonneux de ses rêves, même si elle ne sait pas où elle va. Ni qui est sa
mère.
Il
y a du monde dans cette salle d’attente, des personnes également en attente,
mais qui ne le sont pas pour les mêmes raisons qu’elle. Elle, elle se sent
importante, privilégiée, malgré les empêchements dans son corps. Au bout de la pièce, il y a une
famille au grand complet, le père, la mère et les deux enfants, l’un des petits
a de la morve au nez et quand il renifle, ça fait des grosses bulles qui
crèvent et disparaissent. Ludivine se détourne, dégoutée. Elle s’est assise,
sur sa fesse droite, au plus près de la fenêtre qui donne sur un espace vert et
lumineux. Au loin, au-delà de cet espace vert et lumineux, comme un repère, on
aperçoit la mer…
Dans
la salle d’attente, il y a aussi un petit poussin qui occupe étrangement toute la chaise à gauche de Ludivine. Il est tout jaune et tout mouillé, tout
beau et frétillant, un gros morceau de coquille encore collé sur le côté de sa
tête, et ça lui fait comme un béret.
A la droite de Ludivine, il y a un très vieux monsieur qui respire difficilement, mais qui
affiche sur son visage une luminosité rayonnante, un regard curieux et encore
vif. Ce vieux monsieur est tellement vieux que toute sa peau est burinée,
distendue, diaphane, à tel point qu’on voit en transparence tous ses organes
et notamment son cœur qui bouge comme un animal blessé mais qui résonne comme un tambour. Ludivine reconnait en ce vieux monsieur les
traits vieillis d’Eddy, le père de Madhi. Une grande tristesse l’inonde, alors.
Et
puis brusquement, la porte s’ouvre et Ludivine découvre qui est sa mère ; une blouse
verte, les mains gantés, vétérinaire au bout du monde. C’est pour ça que Ludivine
a pris l’avion, le bateau, le tram, le vélo, tout ça dans le désordre, en un
joyeux bazar. Mais, sa mère ne la reconnait pas. Et pour cause… Le corps de
Ludivine, qui n’est qu’un côté droit tétanisé et froid, s’est transformé en un
énorme serpent. Ludivine cherche malgré
tout son regard. Mais jamais leurs regards ne se croisent. Ludivine est
emprisonnée dans son corps transformé, impuissante ; elle touche du doigt
le rêve de retrouver sa mère, mais cette dernière la considère comme un animal lambda à soigner.
Ludivine se sent comme enchaînée, immobile, et tout au fond d’elle, il y a une révolte sourde, comme un volcan. Elle
tente de se débattre pour dénouer les liens qui l’entravent, mais...
Soudain :
-
Bon, on mange quoi ?
Marc
l’a réveillée en sursaut.
Faut-il
qu’elle le remercie de l’avoir sortie de ce rêve atroce ou qu’elle lui rentre
dedans parce qu’il est toujours à attendre après elle qu’elle prépare le
repas ?
Et,
c’est d’une voix lourdement empâtée par le sommeil qu’elle lui répond :
-
Oh, chui pas ta mère !...
La suite dans quelques jours ?
Sandrine
L
Ecrivant
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