Des gènes errants - Clap 41 – Le chemin de Ludivine
Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 41)
Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là », et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre
2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors
ensemble, poursuivons-là…
Bonne lecture !
L’enterrement ? Quel enterrement ? Et puis, Ludivine comprend ; dans l’enveloppe kraft, sur une simple feuille déchirée d’un cahier, Geneviève a noté au Bic noir, d’une écriture hésitante : « Ludivine, Anna nous a quitté. On part organiser son adieu. Viens si tu peux, ce sera Lundi prochain », suivi de l’adresse du rendez-vous. Et puis, tout en bas de la feuille, tracé au Bic rouge encore plus maladroitement et tout de guingois : « bisou de Madhi ». Ludivine ne peut contenir ses larmes devant le voisin qui lui a remis l’enveloppe. Mais elle ne reste pas plantée devant lui. Elle a un besoin irrépressible de se mettre en mouvement, de chasser la panique qui la gagne. Elle fourre nerveusement l’enveloppe et la feuille dans son sac, en vrac, remercie vaguement le voisin qui la regarde tristement, puis précipitamment, elle fait demi-tour, se sauve, dégringolant les escaliers, sortant de l’immeuble, courant dans la rue sans but précis, continuant à pleurer la mort d’Anna dans sa course folle. Essoufflée et ruisselante, parce que comme un fait exprès, la pluie est toujours de la partie dans ces moments-là, elle rentre dans le premier bar qu’elle rencontre sur son chemin, se pose sur un coin de table, encore toute essoufflée, commande un café et un verre d’eau, ce qu’il y a de moins cher à consommer. Ses yeux sont humides de larmes, la pensée constamment tournée vers Anna.
« Anna
est morte », se dit-elle, dans sa tête, « Anna est morte », se répète-t-elle.
Mais cette phrase lui parait abstraite, comme vide de sens. Pour tenter de
toucher cette réalité, elle prononce ces mots à voix basse, le visage enfoui
dans son écharpe. « Anna est morte ». Mais à nouveau, ça sonne creux,
sans signification aucune. Est-ce que c’est ça, un déni ? Les mots
dépassent son entendement, son cerveau ne les accroche pas, tout comme quand on
tente d’imaginer l’univers à l’infini. L’esprit se perd dans les méandres de
l’incompréhension, puis, s'arrête à ce qui le dépasse, comme une protection pour ne pas partir en vrille. Tout de même, Ludivine ne
parvient pas à éluder, à évacuer le sujet, il est là, prégnant, « Anna est
morte, elle n’est pas partie pour revenir, non, elle est morte »... Rien
de plus logique, c’est envahissant une nouvelle pareille, mais dans sa
difficulté à concevoir qu’elle ne verra plus jamais Anna, elle la ressent
toujours présente. Elle tente de mettre d’autres mots sur sa douleur :
« la voix d’Anna, je ne l’entendrai plus, sa voix si chouette, Anna, ma
copine… ». Mais même ça, elle a toutes les difficultés du monde à le concevoir.
Seule dans ce bar, la pluie ruisselant bruyamment sur le trottoir et sur la
vitrine du bar, Ludivine ne parvient pas à réaliser cet état de fait. Elle a quand
même cessé de pleurer.
Est-ce
que quand les mots surviennent, les larmes se tarissent ?
Une
fois son café et son verre d’eau terminés, elle prend conscience des alentours,
observe, détaille la décoration démodée de la salle où elle se trouve et se
sent soudain observée, une sensation comme une caresse. Elle croit tout d’abord
que c’est le serveur qui la surveille d’un œil méfiant pour qu’elle ne parte
pas sans payer. Alors, elle sort de la monnaie et règle sa consommation, en posant
l’appoint sur la coupelle, juste sur le ticket de caisse. Elle ne part pas pour
autant. Elle reste assise là, songeuse, et continue à se sentir observée. Juste
derrière elle, elle distingue deux voix masculines qui échangent quelques
propos :
-
De
toute façon, elle va pas l’emporter au paradis, tout ce qu’elle a fait….
-
Oui, c’est sûr, mais bon, y’a une
conduite à tenir, tu te rends compte des ravages que ça peut faire, cette
attitude.
Ludivine
se sentant concernée par la conversation, tend l’oreille, même si elle sait
bien que ça ne se fait pas. En même temps, ces voix, elle ne les connait pas.
C’est ce qui se dit qui l’intrigue. De quoi ça parle ? Elle n’a pas à
attendre bien longtemps pour le comprendre ;
-
Elle est partie, bon sang. Elle a
laissé ses mômes. On a beau dire, c’est pas cool pour les enfants. Maintenant,
ils sont à droite, à gauche, et puis, y sont jeunes, les minots….
-
Ouais, moi, j’me mets à la place de son
mari…
-
Bah, c’est un bon mec, Gérard, il va
assurer.
Ludivine
ne peut s’empêcher de tourner le regard vers les deux protagonistes tant le
sujet la révolte et tant elle s’y retrouve. Le plus jeune des deux lui sourit,
mais elle ne répond pas à son sourire. Elle détourne le regard, la drague n’est
pas de mise. Ludivine est au cœur d’un sujet qui la remue ; une mère qui
abandonne ses enfants, quand c’est évoqué dans son entourage, ça la fait
toujours bondir intérieurement, probablement parce qu’elle sait ce que ça
signifie. Oui, ça la remue tout au fond de ses entrailles. Y’a-t-il encore quelque
chose de vivant à cet endroit pour que ça bouge comme ça ?
Elle est là, dans ce bar, pleurant la mort d’Anna, et simultanément, elle se retrouve face à cette discussion, la renvoyant à tout ce qu’elle contient, et aussi à tout ce qui la contient, elle. Elle songe que la mort, et c’est une bien laide expression, « on en fait son deuil » au bout d’un moment. Au delà, il reste à accepter que la personne soit partie dans les nimbes ou nulle part. Gérer l'absence, c'est le plus dur... On l’accepte, on y parvient ou pas, d’ailleurs. En tout cas, Ludivine a cette sensation qu’au fil du temps, l’absence d’un mort s’apprivoise, le quotidien prend le dessus sur le définitif, tout comme la perception de l’infini cesse d’être vertigineux quand on acquiesce à ce qu’il se fige. En revanche, quand on est abandonné, il reste toujours un espoir de retrouvaille, comme un jaillissement, une étincelle de vie. Surtout quand ça remue tout au fond des entrailles, comme quelque chose de vivant qui ne demande qu’à s’exprimer.
Dans
ce bar, avec une vue imprenable sur le béton mouillé de la rue, dans la rumeur
d’autres histoires un peu similaires à la sienne autour d’elle, le goût du café
âcre et amer encore sur la langue, Ludivine prend sa décision. Elle n’ira pas à
l’enterrement d’Anna, non. Elle ne donnera plus de nouvelle à Geneviève et
Madhi, elle n’ira plus leur rendre visite. Elle veut garder intact le souvenir
d’Anna, puis, au fil des jours des mois et des années, laisser son souvenir se déliter de
sa mémoire. Sa disparition arrête tout et, à bien y regarder, voilà un moment
déjà qu’Anna n’était plus l’Anna d’antan, charismatique, grandiloquente et
pleine de sororité à son encontre. Dépasser sa propre tristesse tout en
soutenant le chagrin de Geneviève et aussi celui de Madhi, semble à Ludivine au-dessus
de ses forces, d’autant qu’Eddy, le père de Madhi, souffrant du même mal,
risque probablement de mourir prochainement, (les recherches sur le sida n’en
sont qu’à leur balbutiement…) faisant sans aucun doute du petit, un orphelin. Rien
que de penser à Madhi, à nouveau, ça lui met les larmes aux yeux, et à nouveau,
elle n’a plus de mot…
Est-ce
que quand les larmes jaillissent, les mots s’évaporent ?
Le
lendemain, pour Ludivine, c’est un jour de travail. Le rideau du magasin n’est
pas encore levé, les rayons s’organisent, les sols se nettoient, des clopes se
fument en salle de repos, et le seul sujet de discussion tourne autour de la
mort d’Anna. Les regards sont tristes, les accolades plus généreuses. La
musique des hauts parleurs résonne plus fort que pendant la journée mais le
micro sur pied sur le stand de l’accueil, aujourd’hui, pour les jours, les
années à venir n’est plus et ne sera plus jamais l’instrument privilégié et
réservé d’Anna. Anna la chanteuse-caissière, Anna l’amie et sœur de cœur de
Ludivine. Anna n’est plus là, Anna est morte du sida. Ça prend une forme
irrémédiable et indéniablement triste.
Si
la disparition consécutive à la mort est un mystère au voile épais, celle liée
à l’abandon peut être levée, voilà ce dont Ludivine fait l’apprentissage. Ludivine
aime les mystères, les magiciens et leur tour miraculeux, mais elle ne rechigne
jamais à savoir ce qu’il se passe derrière tout ça, quand c’est possible.
Pourquoi s’en priver, plutôt que de demeurer dans l’illusion ?
C’est
ce lendemain-là, au magasin qu’elle prend une seconde décision ; elle va
retrouver sa mère.
Mais
comment partir à sa recherche alors qu’elle n’a pas de nouvelle depuis plus de
quinze ans ?
La suite dans quelques jours ?
Comme les recherches de la mère de Ludivine ne sont pas très aisées, je me permets un délai supplémentaire ; je te donne donc rendez-vous, non pas dimanche prochain, mais le dimanche suivant.
Bon, aussi, cette semaine, je ne pourrais pas écrire… J’ai
yoga ;-))
Sandrine
L
Ecrivant
Bon yoga ma belle. Bisous
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