Des gènes errants - Clap 40 – Le chemin d’Anna



Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 40)

Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là »,  et respecter l’ordre chronologique des claps…

Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…

Bonne lecture !

Oui, si Marc savait… Mais le problème avec lui, c’est qu’il ne laisse pas Ludivine parler, tout tourne autour de sa disco mobile, ses soirées animées, sa fatigue de plombier, le HLM de sa mère, la gueule de son beau-père, tout en vouant à Ludivine un amour jaloux, exclusif et possessif. En bon adolescent dépendant, il est passé de la force tranquille de maman à l’équilibre précaire de Ludivine. Mais  même si elle a bénéficié d’un petit stage de formation auprès de Josiane, Ludivine est loin d’être attentionnée à Marc, très loin de vouloir se consacrer à lui, comme l’amour d’une mère peut le faire, occultant tous les travers, les dysfonctionnements, les humeurs, les sautes d’humeur et exigences de son enfant. Et des dysfonctionnements, des humeurs, des sautes d’humeur et des exigences, Marc en a plus que de raison… Oui, si Marc savait et s’il avait laissé Ludivine parler pour lui donner des nouvelles d’Anna, il n’aurait pas la nostalgie de leur rencontre, avouant avoir hésité entre Anna et Ludivine…

Admettons…. Admettons qu’à cette fameuse soirée de fête où Marc et Ludivine se sont rencontrés, Marc se serait tourné plutôt vers Anna. Admettons qu’Anna aurait consenti aux avances de Marc, admettons, bien que connaissant les deux personnages, Ludivine ne se les imagine absolument pas ensemble. Admettons que ce soir-là, Ludivine aurait simplement passé une bonne soirée, la musique lui tapant encore dans la tête quand elle serait rentrée, certes tardivement, à la maison de maître au perron éboulé et au portail grinçant. Admettons que le père aurait fait la gueule de la voir rentrer si tard, mais il aurait quand même ouvert, elle aurait alors continué à vivre avec lui au milieu de son fatras, chacun s’enfermant régulièrement dans ses appartements, l’une pour retrouver un semblant d’ordre dans sa tête et tout autour, l’autre pour dompter ses démons. Admettons que si ça avait collé entre Anna et Marc, alors Anna aurait tout raconté à Ludivine, comme de bonnes copines qui se racontent des petits secrets, entre deux clients à leur caisse ou pendant la pause-café, en long en large et en travers. Mais Ludivine connait les détails de cette aventure, c’est elle qui les vit en ce moment, et franchement, il n’y a rien de bien folichon ni de très explosif. Bref, admettons qu’à cette fameuse soirée, Anna n’aurait pas eu ce malaise qui avait, dans la réalité arrêté la soirée. La vie aurait pris le dessus, l’amour aussi, peut-être, mais, plus Ludivine pense à la phrase de Marc ; « Dire que j’hésitais entre toi et elle… », plus elle s’agace de cette certitude qu’on la plupart des hommes de penser que tout dépend d’eux et d’eux seuls. Quoi qu’il en soit, l’étriqué Marc avec la charismatique Anna, voilà une chose bien impossible. Et bien heureusement.

Parce que, dans la réalité, Anna a un fils, Madhi qu’elle a eu avec Eddy, une petite frappe de la banlieue, un mec petit, nerveux, ténébreux et dont Anna a toujours été très amoureuse. Elle n’en parle jamais, mais Ludivine, chez Geneviève, a vu des photos exposées sur le bahut du salon. Eddy, ce voyou de grandes cités, s’est accaparé le cœur généreux d’Anna, lui a fait ce merveilleux petit garçon, la tenant ainsi en otage, tout en continuant ses frasques, ses braquages, ses deals et ses autres inconduites. La prison a rapidement été incontournable pour lui. Et puis un jour, il y a eu cette autorisation de sortie qui leur a permis de se retrouver, deux amoureux, semblant de couple, dans le petit studio d’Anna, c’était facile, Madhi était chez sa grand-mère. Le cœur d’Anna s’est retrouvé à nouveau piégé par ce bad boy, si tant est qu’elle soit un jour sortie de son emprise. Cette fois-ci a scellé leur destiné à jamais, le père de son enfant, amant aimant à sa façon et atypique. L’amour a repris toute sa place dans le petit studio. Mais ni lui, ni elle ne surent qu’à cet instant précis, Eddy était alors porteur d’un mal cueilli en prison, un mal si insidieux, si pernicieux, qu’il est capable de passer dans la seringue d’une aiguille, envahissant sa cellule, ses cellules, son sang, et de fait, dans le petit studio, lors de leurs ébats amoureux, viciant le sang d’Anna ; Eddy avait chopé le sida et comme l’amour est généreux, il l’a donné à Anna.

Alors, oui, si Marc savait ce qu’il a évité avec Anna, il n’aurait pas de nostalgie. Seulement, Marc ne laisse jamais parler Ludivine. Il ne sait pas qu’Anna et son malaise, sa maladie depuis 6 mois, son incapacité à redevenir comme elle était, tout ça, c’est dû au sida, ce mal si peu connu qui moralise tout, les piqures, le sang, les relations et orientations sexuelles, bref, l’amour dans son ensemble.

Quand Ludivine l’a su quelques jours auparavant, son propre sang n’a fait qu’un tour, mais, faisant fi de la méconnaissance de la maladie, elle a gardé comme un point d’honneur à ne jamais abandonner Anna.

Le dimanche suivant, Ludivine se prépare à une journée chargée. De toute façon, les weekends ne sont jamais de tout repos, il y a toujours des visites çà et là avec Marc. Mais ce dimanche-là, comme prévu, elle est seule, ayant réussi à éluder le sempiternel repas chez l’enjouée Josiane et le taciturne Bernard. 

La toute première visite va à la maison de pierre au perron envahi et au portail rouillé. La poignée en est bloquée depuis quelques semaines, il ne lui est même plus possible d’entrer, de longer l’allée jusque sous le saule pleureur pour atteindre la porte d’entrée qui, depuis tous ces longs mois ne s’est jamais ouverte. C’est dehors, à présent qu’elle patiente, appuyant sur la sonnette cachée par les branches d’arbres dépassant du portail comme des tentacules. Elle ne sait même pas si cette sonnette toute rouillée fonctionne encore, d’ailleurs. Elle reste là, comme à son habitude, sur la pointe des pieds, scrutant par-dessus le portail tous ses souvenirs d’enfance sans plus d’accès au père. Que devient-il ? Pense t il à elle ? A-t-il des mots durs comme il en avait pour Réjane quand elle est partie ? Le reverra-t-elle un jour ? Sept mois qu’il n’a pas donné signe de vie, et Panou et Manie jouent le même jeu du chat et de la souris. C’est toujours le cœur gros qu’elle se résigne à passer son chemin.

La visite suivante la dirige vers chez Geneviève. Elle sonne, attend. Personne ne lui ouvre. Elle avait pourtant prévenu de sa visite avant de venir. La semaine dernière, peu de temps après avoir pris connaissance du mal dont souffrait Anna, elle avait raté le coche, mais elle tenait bien à se rattraper. Elle avait contacté Geneviève pour lui demander si c’était possible de venir ce dimanche. Geneviève n’avait pas répondu non. Elle était resté évasive un brin de soumission dans sa réponse ;

-       Oui, si tu veux…

Il est plus de onze heures, personne ne répond mais la porte du voisin s’ouvre bruyamment.

-       Ah, je vous attendais…

-       Vous m’attendiez ? Pourquoi ?

-       Ben j’ai un petit mot pour vous.

Et en penchant la tête vers la porte de chez Geneviève, il ajoute :

-       Sont partis c’matin, tôt…

Il fait demi-tour dans son appartement. La porte claque sur lui. Ludivine attend patiemment sur le palier, intriguée. Le voisin ressort et lui tend une enveloppe kraft avec son prénom écrit dessus puis il attend comme s’il voulait connaître la teneur du message. Mais apparemment, il en sait déjà pas mal :

-       Le petit et Geneviève, quand y sont partis, elle m’a dit qu’ils seront de retour dans une semaine, le temps de faire tout ce qu’il faut pour l’enterrement.

 

La suite dans quelques jours ?

 

Sandrine L

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