Des gènes errants - Clap 38 – Croisée de chemins


 Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 38)

Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ça part de là »,  et respecter l’ordre chronologique des claps…

Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…

Bonne lecture !

On a beau dire, on a beau faire, on a beau constaté que la situation qu’on est en train de vivre n’est pas idéal, quand il s’agit de devoir quitter quelqu’un qu’on voit au quotidien depuis toujours, quel que soit l’équilibre psychologique de cette personne, et qui plus est son propre père, la tristesse est là. 

Elle est là, la tristesse de Ludivine, non pas dans ses entrailles, enfouie profondément, mais bien dans son cœur en connexion directe avec ses conduits lacrymaux. Et ça coule sur ses joues des larmes de sang d’avoir été expulsée de la maison de maître au perron de pierre éboulé et au portail grinçant, ça coule devant l’inconnu vertigineux qui s’ouvre soudainement à elle, devant Marc, ce garçon qu’elle connait à peine, leur devenir ou leur non devenir, va savoir. Ca pleure de l’existence si précaire d’un père continuellement sur la ligne du rasoir depuis toujours, d’une mère infréquentable, floue, interdite et absente, de l’incertitude du lendemain, du gouffre en virage que prend sa vie, et ça fait tourner la tête à juste titre, ça larmoie d’inquiétude pour les aléas de la santé de son amie Anna, de l’éphémère en toute chose, y compris la présence du soleil et de la lune. 

Pour l’heure, la lune s’est cachée derrière les nuages comme si elle ne voulait plus éclairer le chemin qui renvoie Ludivine vers la sortie, vers le portail grinçant de la maison de maître au portail éboulé, jusque dans la Ford Escort bleue du premier garçon rencontré qui l’attend providentiellement. Et tout ça manque de lumière, de soleil… Ah ! Le soleil ! Pour l’heure, le soleil est bien noir… Ça lui rappelle quand elle était toute petite fille, Ludivine, quand elle aimait tant  dessiner et quand sur tous ses dessins, le soleil régnait en maitre, sa place y était prédominante, tout comme le père à l’époque dans la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé. Un jour, elle avait dessiné un soleil noir, sans aucun orage à l’horizon, juste l’intuition d’une faille… La lune, en revanche était la plupart du temps, absente, éludée. Et si la lune est bien représentative de la Mère, oui, Ludivine avait éludé sa mère au fil des jours et l’avait enfouie profondément au fond de ses entrailles. Sa sœur avait pris le même chemin quelques temps après…  

Ca geint de tout ça, là, dans la voiture de Marc, mais il n’y a ni soleil ni lune, juste des phares jaunes pâles qui éclairent le bitume. La voiture démarre, tout est moche autour, tout est gris, noir, rien ne brille. Il y a juste le vert, l’orange et le rouge des feux de circulation. Et quand Marc lui dit :

-       Bon ben, on va aller chez ma mère…, d’un ton contraint.

… alors, Ludivine pleure de plus belle.

-       Mais t’inquiète pas, elle est sympa, ma mère….

Pour être au plus près de Ludivine et la rassurer davantage, Marc arrête la voiture sur le bas-côté où toujours, tout est moche, gris, noir, et où rien ne brille. Il la sert dans ses bras et Ludivine se laisse porter, se laisse aller, confiante, elle retrouve un peu du rose aux joues, le cœur en émoi, des papillons dans les yeux. Mais rien ne bouge dans ses entrailles et son cœur saigne de son père.

Ludivine a de la chance, beaucoup de chance. Elle est tombée sur un bon gars.

La maman de Marc est une petite femme rondelette, et comme son fils, elle a le nez épaté et de tous petits yeux bleus enfoncés sous des paupières tombantes. Elle a la voix grave et profonde d’une personne qui sait ce qu’elle veut et elle veut bien une fille dans son foyer. C’est vrai qu’elle est gentille, Josiane, elle est très attentionnée. Une vraie mère… Elle accueille Ludivine comme si elle était sa propre fille. Ainsi, sa fille et son fils couche ensemble. Est-ce que c’est pour ça que Ludivine est mal à l’aise dans la chambre de Marc ? Cette chambre est pleine d’un fourbi d’adolescent, comme si Marc n’en était pas sorti. Le lit est tout petit et quand ils s’y couchent, ils y sont serrés comme des sardines, elle, collée, coincée contre le mur, comme si il ne voulait pas qu’elle s’échappe. Et puis, cette disco mobile qui encombre tout un pan de mur, c’est l’outil premier de Marc quand il anime ses soirées musicales et même en dehors, puisqu’il s’entraîne régulièrement pour programmer et enchaîner à la perfection tous les morceaux qu’il propose. La chambre de Marc ressemble à un placard désordonné et l’appartement est minuscule. La chaleur y est étouffante, au 12ème étage d’une tour HLM au chauffage collectif, les cloisons sont en papier, on entend tout chez les voisins, les bruits de voix, les bruits de pas, les bruits connus et ceux qui intriguent. 

La maison de maître au perron éboulé et au portail rouillé semble bien grande, froide, silencieuse et lointaine. Mais ça n’est pas une première pour Ludivine, rien n’est tout noir ou tout rose. Une nouvelle vie commence, on l’espère provisoire, éphémère. Qu’est-ce qu’il ne l’est pas, après tout ? Une conscience aigüe de l’impermanence... c’est peut-être ça qui peut aider à vivre les choses, surtout quand elles sont désagréables, inconfortables.

Anna est sortie de l’hôpital au bout de 15 jours, mais elle n’a pas repris son travail au magasin, encore moins sa carrière de chanteuse et plus du tout ses cours par correspondance. Elle a abandonné son petit studio et est retournée vivre chez sa mère. Alors, quand Ludivine va la voir, elle fait d’une pierre trois coups. Elle joue aux 7 familles avec Madhi, elle boit un petit café avec Geneviève et elle voit Anna. Mais Anna a perdu sa fraicheur, sa joie de vivre et son charisme de fou. Elles ne sont plus complices comme avant, Anna est même désagréable avec Ludivine et plus jamais elle ne chante. Anna manque à Ludivine, Anna n’est plus ce qu’elle était. Elle a perdu du poids et semble cacher un lourd secret. Elle est taiseuse et ne montre aucun enthousiasme aux visites de Ludivine. Ludivine ne pose pas de question, mais elle persiste à venir la voir, même si chaque jour qui passe, Anna est de plus en plus maigre, de plus en plus pâle, de plus en plus éteinte.

Avant de rentrer au  HLM, chez Marc et sa mère, Ludivine persiste aussi à faire un détour par la maison de maître au perron éboulé et au portail grinçant. Quand elle arrive, chaque fois, ça grince toujours plus fort. Elle longe l’allée qui mène sous le saule pleureur, monte l’escalier qui conduit à la porte d’entrée. Celle-ci jamais ne s’ouvre malgré ses petits coups secs et le « Papa, c’est moi » censé être le sésame. Ludivine s’en retourne chaque fois bredouille et triste, fragile et coupable, inculpée d’office.

Ludivine, les entrailles et le cœur gros, avance sur le chemin des autres, à côté du sien.

 

La suite dans quelques jours ? Oui, mais plutôt dans deux semaines, cette fois-ci, parce que, contrairement à Ludivine, j’ai trouvé mon chemin et là, je pars quelques jours sur celui de Compostelle…

 

Sandrine L

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