Des gènes errants - Clap 33 – En caisse...

 


 Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 33)

Si tu prends la lecture de ces petits textes en cour de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ca part de là »,  et respecter l’ordre chronologique des claps…

Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…

Bonne lecture !


Les néons et le bruit incessant laissent Ludivine groggy chaque fin de journée. Les gens défilent, les heures passent, sa caisse est pleine d’argent et c’est comme un jeu de la compter en fin de journée, après les néons et le bruit, dans un petit bureau annexe et sombre, pour vérifier si tout est juste. C’est comme une victoire quotidienne, une confirmation de la justesse et du bon déroulement des choses. Et puis, il y a ce vigile, là-bas planté toute la journée dans la galerie, surveillant les environs, juste derrière les caisses, son regard croisant souvent celui de Ludivine.

Mais Ludivine est sérieuse. Elle est dans la recherche de la justesse en toute chose. Elle ne laisse pas de place à l’aléatoire. Elle est à son travail, elle se lance des défis et pour être la meilleure caissière de tout le magasin, elle s’entraîne à être rapide, parce que cordiale et souriante, ça, elle sait déjà faire. Pour l’heure, il s’agit de parvenir à taper promptement les codes des articles sur le clavier numérique sans regarder ses doigts. Les articles défilent sur le tapis qui n’en finit jamais de rouler, ses caisses sont toujours justes au centime près, les gens circulent, divers et variés, elle les observe, ne dit pas grand-chose, comme elle a toujours su faire. Ses doigts sont agiles, déconnectés de sa pensée. Parfois elle s’ennuie, elle rêve, ses yeux dérivent du côté du vigile, il la regarde, il s’approche, elle rougit, elle l’ignore. Elle vient de finir avec le dernier client, ses articles, son chèque et sa pièce d’identité. Ça n’est pas une heure de grande affluence, le magasin est presque silencieux, on entend distinctement la musique qui s’égrène entre les appels micro. Il n’y a  plus personne à sa caisse, le vigile en profite pour engager la conversation, le regard franc et lumineux.

-       Salut, t’es nouvelle toi ?

Ludivine ne répond pas, mais ébauche un sourire. Il est vraiment pas mal, le teint légèrement mat, des yeux clairs et rieurs, un joli sourire, le corps un peu raide, figé dans son uniforme de vigile.

-       Moi, c’est Jacques. Et toi ?

-       Ludivine.

-       Ouah, c’est chouette ça, comme prénom…

Ludivine le trouve lourd et collant, mais pour autant, elle ne souhaite pas le voir partir. Toujours personne à sa caisse. Il reste planté là.

-       T’habite par-là ?

La maison de maître au perron envahi et au portail grinçant apparait dans le champ de vision de Ludivine, comme un cheveu sur la soupe.

-       Ouais, ouais, répond-elle, évasive.

-       Eh ben t’es pas causante, toi…

Et puis il ajoute d’un air fantoche :

-        Eh, faut pas avoir peur… J’vais pas t’braquer ta caisse… Chui l’vigile, moi… Chui là pour surveiller !

-       Ben oui, je sais bien, répond Ludivine, amusée.

-       Ah enfin ! Elle cause, Ludivine !

Il ne lui en faut pas plus pour sourire à Jacques plus largement. Il est vraiment sympa, charmant, amusant, attendrissant, bienveillant…

Oui, mais dans le magasin, il y a aussi Paul, Dominique, Jean, Grégoire, et puis Souad, Aline, Maria, Béatrice. Tous ces gens sont tous tellement gentils, attentionnés, drôles. A ce tout nouvel emploi, Ludivine découvre une facette inédite de l’être humain, celle de l’insouciance au quotidien, où rien ne pèse, ou presque rien. Elle lit sur leur visage leurs émotions, leur joie, leur ras-le-bol, leur variation d’humeur… Elle sait faire, elle a été à bonne école très tôt. Elle fuit Bernard, qui parfois, a le même regard que le père, emprunt de tristesse, elle la sent si bien chez les gens, la tristesse ou ce qui y ressemble. Et ses émotions à elle, elle les enfouit profondément, au cas où elle rencontre quelqu’un comme elle, qui sache la dévoiler. Simplement, elle sourit, toujours avenante, à tout venant, parce que l’important, ce sont les autres, ceux qui l’entourent, ceux qui gravitent autour d’elle, elle se sent responsable de leur bien-être. Son propre bien être dépend d’eux.

Oui, Jacques, le vigile est vraiment charmant, amusant, attendrissant, bienveillant. Parfois, quand il se plante derrière sa caisse, Ludivine voit qu’il a les yeux rouges comme s’il avait pleuré. Ludivine se pose des questions. Est-ce qu’il a des problèmes, Jacques ? Et puis bizarrement, c’est quand ses yeux sont rouges qu’il est le plus causant, le plus avenant et souriant.

-       Tu finis à quelle heure ? lui demande-t-il.

-       Pourquoi, répond Ludivine, sur la défensive.

-       Ben, comme ça, on pourrait aller s’boire un coup quelque part…

La maison de maître au perron envahi et au portail grinçant passe en un éclair dans le champ de vision de Ludivine, mais sa propre voix éteint l’éclair et chasse l’idée du père. Après tout, elle est désormais majeure. Alors, elle se lance.

-       Ben ouais, si tu veux, j’finis à 5h.

-       Cool, super. Ben, on peut aller au bar là-bas, en face, j’t’attendrais.

Jacques est plaisant, rigolo, respectueux. Il est mignon et toujours très attentionné avec Ludivine. Il a une Renault 5 vert métallisée dans laquelle il promène Ludivine après leurs heures de boulot. Même si  la voiture est sale, jonchée de mégots et autres détritus, Ludivine apprécie cette forme de liberté, celle de se faire accompagner ici et là. Jacques habite dans une des tours non loin du magasin où tout est crasseux, les murs y sont couverts de graffitis, mais tout le monde se connait. Jacques présente à Ludivine tous ses amis, Bruno, Ali, Nora, Tess… La bonne humeur est de mise et, Ludivine le découvre rapidement, c’est ce qui s’y fume en cercle qui leur donne les yeux si rouges à tous et cette humeur toujours joyeuse et débonnaire.

Ludivine rentre de plus en plus tard à la maison de maître au perron envahi et au portail grinçant. Avec le père, elle fait toujours moitié-moitié sur ses salaires, comme un loyer acquitté. De ses retours tardifs, le père ne dit trop rien. Il se retranche même un peu plus dans le silence et derrière les piles de toutes choses qui s’accumulent toujours de plus en plus autour de lui.

Ludivine, elle, balance dans un équilibre précaire, entre ses nouveaux amis aux yeux rouges des cités taguées avoisinantes et le père aux yeux fixes de la maison de maître au perron éboulé et au portail rouillé.

 

La suite dans quelques jours ?

 

Sandrine L

Ecrivant

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