Des gènes errants - Clap 32 – Moitié-moitié

 


Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 32)

Si tu prends la lecture de ces petits textes en cour de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ca part de là »,  et respecter l’ordre chronologique des claps…

Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…

Bonne lecture !


Ludivine fait demi-tour, longe l’allée de la maison de maître au perron envahi et au portail grinçant, va déposer la pile de prospectus, l’ours dessus bien en évidence, sur la table de la cuisine en formica, sans trop savoir qu’en penser.

Quand le père découvre la carte postale, il lève les bras au ciel autant que le ton de sa voix, décrétant que même à distance, Réjane provoque, nargue et reste insolente, comme toujours. C’est comme si Réjane était encore là, présente, réveillant les foudres du père qui ne mâche pas ses mots devant l’ours bonhomme et rieur.

-       C’est du foutage de gueule, ça… L’a pas intérêt à remettre les pieds ici, celle-là !

Ludivine entend encore le verre se briser sur le gravier et l’ambiance chargée d’électricité, comme le jour du départ de Réjane. Dans un coin de sa tête, Ludivine trouve cependant des circonstances atténuantes à sa sœur et beaucoup de violence dans les propos du père. C’est vrai qu’elle a l’impression d’être dans un bain tiédi, où d’un côté, il y a la raison froide et de l’autre les torts, brûlants. A moins que ce ne soit l’inverse. Et qui a raison ? Qui a tort ? Ludivine tangue entre les raisons de la colère de sa sœur, le tort de la violence de son père, la raison malade de son père, les torts provoquants de sa sœur. Les perpétuelles dysharmonies qui la mettent en balancement constant lui glacent les sangs, la figent dans une incapacité à prendre parti. Ni père, ni repère… Alors, elle ne dit rien, elle écoute le père professer son point de vue comme on lance ses poings dans un combat de boxe. Réjane n’est pas là pour lui répondre, personne ne le contre. Manie et Panou, de moins en moins présents, ayant renoncé, le père ne peut qu’être le gagnant, dans la maison de maître au perron envahi et au portail grinçant.

Ludivine s’accroche. A présent, elle sait faire semblant d’ignorer les états d’âme du père et ses discours grandiloquents. Elle le laisse parler, elle l’écoute et ne communique avec lui que quand elle le sent, et toujours en allant dans son sens. Ou bien elle se tait. De toute façon, quelle est sa porte de sortie ? La porte, justement ? Comme Réjane ? Avec derrière, l’inconnu, ce grand danger ? Non merci ! Trop de peurs insufflées…. Certes, comme elle n’a pas de nouvelle de Réjane depuis longtemps et que cette carte qui dit en substance, « c’est mieux ce que je vis que ce que tu es encore en train de vivre », Ludivine est attisée par un autre possible meilleur, ailleurs. Mais elle n’est pas majeure, le père le lui rappelle régulièrement et, la sentence après bac : « c’est bien, ben, va bosser maintenant » sonne comme un glas glaçant et obligatoire.

Alors, elle cherche du travail.

Mais… Elle n’a pas d’expérience, elle n’est pas crédible. Elle est si jeune, si menue, si diaphane, si peu affirmée, si innocente, tendre, introvertie et fragile…

Oui, elle est tout ça.

Mais… Elle a bien de la chance… Car soudain, elle endosse le costume de ses rêves ; elle devient prof !

Une dizaine d’heures de cours de soutien en anglais, en math et en français pour des petits qu’elle a su aller chercher, scandent ses semaines et elle s’y croit. Elle aide notamment, en français, Hervé, un petit garçon brun trapu aux yeux noirs, un peu mutique. Ses parents habitent à quelques rues de la maison de maître au perron envahi et au portail grinçant, dans une maison bien plus petite et modeste, mais entretenue, propre, rutilante même. Seule la chambre de l’enfant de 8 ans est encombrée de petites voitures et d’énormes peluches. Le petit bureau où ils travaillent ensemble n’est pas central et Hervé non plus n’est pas centré. Il n’écoute rien, il bouge sans cesse, répond souvent à côté de la plaque quand il répond mais Ludivine développe patience et compréhension devant les limites de son élève. Tout au fond d’elle, elle a envie de le bousculer, de lui donner des claques. Bien sûr, elle n’en fait rien, elle garde pour elle son agacement, elle sait faire. Une heure passe vite, elle gagne des sous.

Sur le rythme de la dizaine de cours par semaine, elle entre et sort de la maison de maître au perron envahi et au portail grinçant. Le père connait son planning et chaque fois qu’elle revient, il est alerté par le bruit du portail. Il est là, il l’accueille, il n’a que ça à faire. Alors, elle lui donne la moitié de ce qu’elle a gagné.

Elle a vraiment beaucoup de chance… Sans expérience, sans crédibilité, si jeune, si menue, si diaphane et si peu affirmée, le week-end, elle bosse aussi à la boulangerie de l’avenue, celle qui a pignon sur rue un peu plus haut après la boucherie de la mère Cheval, la boulangerie qui fait le meilleur pain et qui vend des gâteaux succulents. Elle part le matin en faisant grincer le portail de la maison de maître au perron envahi et quand elle revient, éreintée de sa journée intense à servir, ranger, nettoyer, balayer, rassasiée d’odeur de pain frais et chaud, elle fait résonner les gonds du portail, et ça tinte joyeusement tout comme l’argent qu’elle apporte à son père, souvent accompagné d’un gros pain frais et quelques gâteaux si succulents. Jamais des gâteaux aussi bons n’étaient entrés dans la maison de maître au perron envahi et au portail grinçant. Elle est fière d’apporter cette nouveauté au père.

Ludivine met un point d’honneur à être exacte avec le père. Jamais elle ne déroge ; de tout ce qu’elle gagne, c’est moitié-moitié. C’est leur contrat tacite et surtout, tout est vérifié au rythme de ses allées retours, des grincements du portail et du planning de Ludivine que le père a en sa possession.

Ça lui donne le sourire, au père et ça illumine le cœur de Ludivine.

L’autre moitié, Ludivine la dépose sur son livret A, sans jamais rien dépenser ; on ne sait pas de quoi demain sera fait…

 

La suite dans quelques jours ?

 

Sandrine L

Ecrivant


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