Des gènes errants - Clap 30 – Dans le bac

 


 Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 30)

Si tu prends la lecture de ces petits textes en cour de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ca part de là »,  et respecter l’ordre chronologique des claps…

Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que, désormais, cette histoire trace son chemin. Alors ensemble, poursuivons-là…

Bonne lecture !


Le père érige autour de lui, partout dans la maison et à l’extérieur, de plus en plus de fatras inutiles. A l’image du lieu qui laisse s’épanouir la nature formant tâche verte au milieu du béton gris, des piles de prospectus, d’enveloppes vides, de vieux cartons, d’épluchures desséchées de toutes sortes atterrissent alentour, formant maintes empilements, sans que jamais Ludivine n’ait l’autorisation de les toucher, de les déplacer ou de les jeter à la poubelle. Si elle s’y risque, tout est remis à sa place, en ordre au milieu du désordre. Dehors, dans la cour, sur la surface plane du ciment dans l’angle des garages, des vieilles banquettes ayant appartenues à de vieilles voitures s’accumulent et restent posées là où elles ont été mises, rendant impossible l’ouverture des portes des garages. Tout semble prendre racine là où tout atterri. C’est disposé, oublié, puis, ça vit sa propre vie, et tous ces amoncèlements font ressembler la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé à un dépotoir géant. C’est une couche protectrice de plus qui s’ajoute à la nature qui, elle, reprend ses droits. Et le père éclate de rire quand Ludivine tente de le lui faire remarquer.

-       Mais Papa, pourquoi tu gardes tous ces trucs ?

Assis près de la table en formica de la cuisine, jambes et bras croisés, l’index droit pressant la cicatrice qu’il garde au-dessus de sa lèvre, il affiche un sourire de petit garçon obtus, les yeux froncés d’effronterie.

Parce que oui, Ludivine sachant aller dans son sens quand il est là et que la bonne humeur qu’elle lit dans ses yeux le permet, ils parviennent parfois à communiquer sur un mode dérisoire d’humour à deux balles. Ludivine, à près de 17 ans, veut encore croire que son père est normal, qu’un jour, il va l’emmener au cinéma, au restaurant, ou qu’il viendra la chercher à la sortie des cours, qu’un de ces quatre, il va cesser de s’habiller de loques et enfin se couper un peu les cheveux qu’il porte toujours en une longue queue de cheval difforme attachée d’un simple élastique. Elle veut croire en des vacances possibles avec lui dans un autre lieu, en bord de mer où dans des confins montagneux, ailleurs qu’ici en tout cas, cette maison de maitre qui fait leur quotidien, mais dont le père ne veut pas déloger, obtus qu’il est dans ses refus d’ouvrir ses horizons. Mais toujours, Ludivine espère et veut croire en lui pour peut-être croire en elle. Elle veut démontrer aux autres et à elle-même qu’elle a un père, un vrai, à défaut d’une mère, pour se prouver qu’elle ne vient pas de personne et qu’au final, elle est comme tout le monde. Mais le père possède une force d’inertie qu’aucun cyclone ou tsunami ne parviendrait à déloger de la maison  de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé, attaché qu’il est à ces murs en perdition, ilot vert flottant au milieu du béton gourmand. A se demander qui en est le maître, de cette maison. Le père ou la maison elle-même ?

Pour l’heure, Ludivine trace sa route au milieu du fatras. Le père veut garder tout ce bordel autour de lui ? Ça lui plait ? Il s’y complait ? Qu’à cela ne tienne, ça l’occupe, personne n’y peut rien, ni elle, ni Manie et Panou si divisés qu’ils sont sur l’attitude à avoir face à leur fils. En tout cas, personne ne fait rien pour l’empêcher de monter toutes ces barricades, personne ne fait rien pour le soigner.

Là-haut, dans la chambre que Ludivine occupe seule désormais, elle est méthodique et ordonnée, loin des tas qui s’entassent et faisant en sorte d’ignorer le délabrement de tout le reste de la maison. Depuis l’envol fracassant des objets de filles par la fenêtre, le père n’est jamais remonté à l’étage ; c’est là qu’elle travaille à ses cours et ce sont ses cahiers et ses livres qui la protègent, elle. Son objectif, c’est avoir son bac et ensuite… Ensuite, on verra bien !

Ludivine passe les épreuves, fragile et forte à la fois. En sortant de l’examen de mathématiques, elle a la sensation qu’elle obtiendra une excellente note. En philosophie, elle fait le choix d’un texte sur le fini et l’infini en espérant s’en être bien sortie, en équilibre sur sa ligne d’horizon, entre fini et infini, à juste titre. Quant aux épreuves d’anglais et d’allemand, sa joie, sa passion, elle les soigne ; c’est ça qu’elle veut faire, continuer ses études dans les langues et devenir peut être prof d’anglais, un jour.

L’attente des résultats, ce sont des jours sans fin de grande fébrilité. Le jour de leur annonce, il faut sortir de la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé, faire grincer bruyamment le portail en partant, longer l’avenue vivante, odorante et animée, atteindre l’école où tout est affiché et où un attroupement s’est déjà formé, modérer les battements de son cœur qui cognent dans sa poitrine, avancer bille en tête pour se frayer un chemin jusqu’aux listes placardées sur de grands panneaux gris, cligner plusieurs fois des yeux pour parvenir à sélectionner la bonne colonne, cette section de bac très générale qu’est le bac B,  Sciences Economiques et Sociales, chercher son nom fébrilement, exploser de joie toute intérieure quand elle le découvre enfin, émettre une petite mou de déception quand elle constate « seulement » une mention assez bien, exprimer sobrement sa joie avec ses quelques copines, Diane, Clémence, Nathalie, revenir sur ses pas, vite, très vite sans s’attarder d’avantage, contenir les battements de son cœur qui cognent toujours et encore plus fort dans sa poitrine, revenir bille en tête devant le portail en fer forgé qui grince joyeusement comme pour annoncer la bonne nouvelle au père, ce père qui va être si fier d’elle, le trouver immobile les yeux dans le vague, assis sur une vieille banquette posée sur le ciment à l’angle des garages, faire fi de son inertie et crier sa joie, sa réussite :

-       Papa, Papa !... C’est bon, je l’ai !

Faire semblant de ne pas remarquer son air vide, inerte, indifférent.

Et de préciser :

-       Papa, ça y’est ! J’ai mon bac !!!

Entendre sans s’attendre à la réponse, articuler d’une voix plate, d’outre-tombe :

-       C’est bien, ben, va bosser maintenant…

 

La suite dans quelques jours ?

Sandrine L

Ecrivant


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