Des gènes errants - Clap 28 – Le monde est petit
Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma
(clap 28)
Si tu prends la lecture de ces petits textes en cour de route, arrête-toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ca part de là », et respecter l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre
2023, tu auras remarqué que cette histoire a désormais pris son autonomie.
Alors ensemble, poursuivons-là…
Bonne lecture !
« Le
père continue à monter les marches dans un bruit sourd, lourd et fini par
atteindre le deuxième palier. A gauche la salle de bain de tous les feux
d’artifice et de toutes les étoiles. A droite, la chambre des filles, leur nuit
et leurs rêves de pleine lune.
-
Ah t’en a marre d’ici ? hurle le
père… Et ben, moi aussi, j’en ai marre, figure toi, toi et ta tête de
cochon !!...
Ludivine a laissé la porte de leur chambre entrouverte. Le père donne un grand coup d’épaule pour pouvoir y entrer. Ludivine est terrorisée ; jamais le père ne vient dans leur chambre. On entend qu’il ouvre la fenêtre qui donne sur la cour de graviers, là où Ludivine, quand elle faisait du vélo, ralentissait toujours de peur de tomber. De cette fenêtre, Ludivine sait par cœur l’enfilade des garages rouges à gauche et la tonnelle jaune à droite. Le saule pleureur est bien plus à droite après l’escalier de la porte d’entrée. De cette fenêtre ouverte, il faut se pencher pour le voir. Mais ça n’est pas pour apercevoir le saule pleureur que le père l’a ouverte en grand, ça n’est pas non plus pour observer les étoiles ni contempler un feu d’artifice, ou un soir de pleine lune. Un vacarme se fait entendre dans toute la maison, puis un bruit incessant de verres et d’objets qu’on casse ; il en a pour un moment, le père, pour jeter par-dessus bord tout le contenu des placards de la chambre des filles, ces placards où elles ont leurs petites affaires, leurs cahiers d’école, leurs livres et leurs habits, leurs souvenirs et leurs secrets. Le père ne fait pas de distinction. Des objets de filles, tout ce qui peut rappeler la moindre coquetterie, leur mère aussi, tout ce qui est féminin, pour l’heure est objet de son courroux. Même les affaires de Ludivine volent entre les garages et la tonnelle, commençant à former un tas informe, verres, graviers et tissus mêlés.
Ludivine
descend précipitamment les quelques marches qui la séparent de la cuisine et voit
Réjane fondre dans la cour pour constater l’ampleur du désastre. Elle pleure
fort et d’en bas hurle au père d’arrêter alors que Manie reste retranchée dans
la cuisine. Ludivine hésite. Faut-il choisir un camp, entre cuisine et
cour ? Elle finit par rester en haut de l’escalier qui descend à la cour,
sur le pas de la porte d’entrée. De là, elle a une vue plongeante sur le lieu
du désastre où les arômes à la fois fleuris et sucrés de toutes les eaux de toilette
mêlées dont Réjane fait collection, commencent à monter de façon entêtante.
Réjane
tente de récupérer quelques objets à sauver, tout en se protégeant des
projectiles. Elle pleure à gros sanglots et hurle au père d’arrêter ça, sans
regarder Ludivine. Mais Ludivine cherche le regard de sa sœur, hélas sans
jamais l’accrocher. Du mieux qu’elle peut, malgré sa peine et le désordre
ambiant, Réjane trie, prend, met de côté, chargeant les bras de ses amis restés
là dans la cour, témoins impuissants d’une violence insoupçonnée ; cette
fille et ce garçon que Ludivine a souvent vus à la sortie du lycée, aident du
mieux qu’ils peuvent Réjane à s’extraire du lieu. Ludivine sait que Marie est
dans la classe de Réjane, qu’elles sont amies depuis longtemps et que ce garçon,
David, c’est le frère de Marie, celui qu’elle a vu quelques heures auparavant,
embrassant Réjane à la sortie du lycée, collés l’un contre l’autre.
Plus
rien ne reste à sauver, aucun habit, aucun flacon, même pas le lien ténu de la
sororité ; mus par un instinct de survie, les trois adolescents se
dirigent à grand pas vers la sortie.
Ludivine
ressent comme une urgence et sans songer encore à choisir un camp, elle les
suit tout de même, longeant l’allée le long de la maison de maître au perron de
pierre jusqu’au portail en fer forgé. Ses aînés devant elle ouvrent dans un
grincement sinistre le lourd portail et Ludivine entend distinctement David
demander à Réjane :
-
Il s’appelle comment ton père ?
Dans
un sanglot agacé, Réjane lui répond :
-
Ben, Dan… Pourquoi ?
-
Non, rien, répond David confus, j’avais l’impression de l’avoir déjà vu
quelque part…
-
Ben ça m’étonnerait… Y sort jamais… C’est
un barge…
Ludivine,
elle, ne franchit pas le portail. La culpabilité de laisser là son père, ce
barge et sa folie, la tenaille.
Alors,
lentement, sous une pleine lune lumineuse, elle rebrousse chemin, longe l’allée
de la maison de maître en sens inverse, passe sous le saule pleureur, remonte
l’escalier qui mène à la porte d’entrée, s’arrête un instant pour observer ce
tas incongru jeté sur le gravier.
Dans
la maison, le père furieux, on ne l’entend plus. Manie est dans la cuisine,
remuant ses casseroles. Panou est silencieux, comme absent.
A
partir de ce jour, Ludivine le sait, Réjane est remisée au même rang que leur
mère, à jamais honnie, bannie.
Ludivine
engrange cette nouvelle absence dans ses entrailles, le cœur saignant, la tête
lourde des senteurs entêtantes du tas qui reste d’elles deux, tout emmêlé, les
bouts de verres scintillants sous les rayons de la pleine lune. »
La suite dans quelques jours ?
Sandrine
L
Ecrivant
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