Des gènes errants - Clap 23 – Une apparition
Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap
23)
Si tu prends la lecture de ces petits
textes en cours de route, arrête-toi de suite, tu ne vas rien
comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4
septembre 2023, intitulé « Ca part de là », et respecter
l’ordre chronologique des claps…
Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre
2023, tu auras remarqué que cette histoire a désormais pris son autonomie.
Alors, ensemble, poursuivons-la…
Bonne lecture !
« La vie continue dans la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé. Tant bien que mal. Et dans cette expression, il y a autant d’effort à faire du bien que celui de faire mal, sans le vouloir. Le père occupe tout l’espace et quand il n’est pas là, c’est qu’il est retranché dans ses appartements. Mais même invisible, l’ombre de sa présence obscurcit le lieu d’un mal être ambiant. Cette maison est aussi celle où vivent désormais Manie, Panou, Marie-Jeanne et Ludivine, ensemble ; un peu de lumière s’oppose à l’obscurité.
Chez l’assistante sociale où elles se rendent de moins en moins, Ludivine ne dessine plus. A présent, elle fait comme Marie-Jeanne, elle se plonge régulièrement dans la lecture. Si il lui venait à l’esprit de dessiner des soleils, ils seraient de plus en plus noirs. Quant à la lune, par définition, cachée derrière les nuages ou surgissant la nuit, elle n’est jamais visible.
Parfois,
elles y pensent, mais elles n’en parlent pas ; bien du temps s’est écoulé
depuis la dernière fois que Marie-Jeanne et Ludivine ont vu leur mère. Etait-ce
dans le studio des cauchemars de la rue au lampadaire blafard, ce lieu d’une
saison qui a tronçonné leur vie en deux ? Etait-ce lors d’une visite chez
Mélanie, l’assistante sociale ? Oui, peut être que le plus récemment,
c’était là, chez Mélanie. Pas d’autre hypothèse ni souvenir, puisque jamais
leur mère n’est conviée à la maison de maitre au perron de pierre et au portail
en fer forgé. Non seulement elle n’y est pas conviée, mais en plus, elle n’y
vient jamais de son plein gré. Non seulement elle n’y vient jamais de son plein
gré, mais en plus, elle y est considérée comme une étrangère, bannie, honnie.
Jamais on n’a de nouvelles d’elle. Elle est partie, elle n’a plus sa place ici.
Qui va à la chasse perd sa place. La chasse à quoi ? Rien n’est précisé,
mais il semble qu’on peut faire sans, même si la notion d’absence n’a pas la
même signification pour tout le monde. Les visites régulières mais de plus en
plus espacées chez l’assistante sociale ont-elles pour but de donner une place
à l’absence ? A ce personnage ? Leur mère ?
Oui,
sans aucun doute, la dernière fois qu’elles l’ont aperçu en chair et en os, ça devait
être chez Mélanie.
Un
jour, un tintement de clés sur un trousseau énorme a attiré l’attention de
Marie-Jeanne et Ludivine. Les autres enfants aussi ont regardé dans la
direction de ce tintamarre. Très vite, ils se sont tous désintéressé de la
visite en cours. Ca ne les concernait pas. Seules Marie-Jeanne et Ludivine ont
gardé le nez levé et l’oreille aux aguets au vacarme des clés sur ce trousseau
énorme. Ça n’était pas comme le bruit de la cloche chez le père qui appelle aux
repas ou à l’épluchage des patates, non, c’était un bruit désordonné, imprécis,
brouillon. Les clés bougeaient à chaque mouvement de leur propriétaire. Ça leur
a fait tourner la tête, dans tous les sens du terme. Il y avait là une femme,
pas bien grande, qu’elles ne connaissaient pas, qu’elles ne connaissaient plus,
mais qu’elles ont reconnue, sans vraiment la reconnaître. Ça a été étrange.
Furtivement, Ludivine a relevé une ressemblance déjà rencontrée, une présence ancienne,
une personne différente, et paradoxalement, identique, connue et familière. Et
puis, très vite, ça n’a été plus personne, en fait. Associée à cette vision
furtive, (elle n’est restée que quelques minutes), seule a persisté en Ludivine
la certitude d’avoir aperçue un morceau d’elle. Cette femme accrochée à son
trousseau de clé, avait laissé quelques cadeaux ; un métier à tricoter,
des puzzles, des friandises. Ça aussi, ça leur a tourné la tête, tant de
présents en une seule fois, tant d’attentions rien que pour elles deux,
Marie-Jeanne et Ludivine.
Ce
jour-là, chez Mélanie, il y a eu, l’espace d’un instant, comme une petite
bouffée d’air frais, de nouveauté et d’espoir retrouvé, l’espoir que le soleil
et la lune se rencontrent peut-être à nouveau. L’espoir que tous les enfants
nourrissent quand le père est d’un côté, la mère de l’autre, et que rien n’est
dit, rien n’est partagé, rien n’est expliqué. Même Marie-Jeanne, après cette
apparition dans le bureau de Mélanie, n’est pas retournée mettre son nez dans
ses livres. Aussitôt après le départ du trousseau, elle a voulu commencer à
jouer avec le métier à tricoter, comme pour prolonger cette présence. Grand
bien lui a fait, elle n’y aurait jamais joué, sans ça, puisque de retour à la
maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé, très vite,
tous ces petits cadeaux disparurent, comme par magie. Mais qui est donc le
magicien ?
A
la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé, on n’entend
jamais du bien de cette mère fantôme, cette mère qui, comme la lune, n’a le
droit que d’apparaître la nuit, dans l’obscurité des rêves et de l’imaginaire. C’est
le père qui habite le lieu, lui et ses démons, lui et ses yeux à l’humeur
sombre et impulsive. Le père, c’est lui le maître dans la maison. Personne
d’autre. Il occupe tout l’espace et même invisible, l’ombre de sa présence
obscurcit le lieu d’un mal être ambiant.
Marie-Jeanne
s’évade en lisant plus que de raison, quand Ludivine, elle, veut croire en un
soleil radiant et en une lune avenante. »
La suite dans quelques jours ?
Sandrine
L
Ecrivant
Que de souvenirs malheureux....pourquoi ne pas faire de recherches pour retrouver cette mère ?
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