Des gènes errants - Clap 21 – Trouble


Bonjour la Smala-vie-comme au cinéma (clap 21)

Si tu prends la lecture de ces petits textes en cours de route, arrête toi de suite !.... Tu ne vas rien comprendre ! Il te faut revenir au tout premier texte, celui du 4 septembre 2023, intitulé « Ca part de là »,  et respecter l’ordre chronologique des claps…

Si tu es assidu-e depuis le 4 septembre 2023, tu auras remarqué que cette histoire a désormais pris son autonomie. Alors, ensemble, poursuivons-la…

Bonne lecture !

 

« Mais, tous les personnages qui l’habitent et qui lui tiennent compagnie sont bavards, discutent entre eux. Il ne sait pas vraiment d’ailleurs s’ils s’adressent directement à lui. Il le pense. Il est le témoin de tous les instants et de toutes les conversations. Alors ces personnages qui l’habitent lui font faire des choses qu’il se sent obligé de faire. Inéluctablement. Les voix lui soufflent plein de trucs à l’oreille et ce sont comme des ordres, sans logique ni cohérence, des ordres fous. Et dans sa tête, c’est un désordre fou… A se demander s’il ne l’est pas, fou… Non, il ne l’est pas ! L’accepter serait aller dans le sens de Panou qui tient absolument qu’il se fasse soigner, comme il dit si bien. Mais soigner de quoi ? Il est lui, lui et ses travers, lui et sa sensibilité à fleur de peau, et il n’y peut rien si il ne parvient pas à faire face aux obstacles de sa vie. Il est là, il le sait, il se sent essentiel à cette maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé, il s’occupe du lieu, l’habite. Il ne réalise pas à quel point aussi tous les personnages qui l’habitent et qui lui tiennent compagnie hantent à la fois le lieu et son propre esprit. Quand les voix grondent, il s’absente de lui-même, retranché dans ses appartements. Et à tous les ordres, il obtempère…

-       Il faut garder tous les boulons et les vis dans une grosse boite en fer, dit Hector, on ne sait jamais, ça peut servir.

-       Oui, mais bon, la mécanique, c’est pas mon fort…

-       On ne sait jamais !

-       Il faut conserver toutes les épluchures des mandarines, dit Gabriel, ça servira d’engrais au potager… Surtout les mandarines…

-       Le potager ? Ah oui, y’a bien longtemps que je n’y ai pas mis les pieds, mais oui, on ne sait jamais. Et les oranges ?  

-       Non, non répond Gabriel, que les mandarines…

-       Il faut garder tous les prospectus qu’on reçoit dans la boite aux lettres et tous les journaux, dit Hortense on ne sait jamais, ça peut servir pour récupérer les épluchures de légumes.

-       On ne jette rien, ni ces chaussons écossais qui ont certes connu leur heure de gloire, ni ce pull tout difforme qui protège du froid depuis la nuit des temps, ni ce vieux plaid élimé, ça peut encore servir dit Bob, on ne sait jamais…

-       Il faut rester à la maison, dehors, c’est l’inconnu, le lieu de tous les dangers, on ne sait jamais, dit Adam…

-       Il faut te laver les mains plusieurs fois par jour, c’est important pour les microbes, ils sont partout, il faut les éradiquer, on ne sait jamais !

-       on ne sait jamais !

-       on ne sait jamais ! oui… on ne sait jamais….

Il est au centre de ces ordres désordonnés, harassé de recommandations qu’il se concentre à appliquer au pied de la lettre. Scrupuleusement. Sinon… Sinon ?

-       On ne sait jamais ! La terre peut tourner à l’envers, c’est là qu’est notre pouvoir.

Il met en application toutes les consignes et grâce à lui, la terre continue à tourner du bon côté. Il s’accroche à ça ; il est responsable de la bonne marche du monde, ça n’est pas rien ! Toute son attention et son énergie se tend à suivre consciencieusement les conseils décousus des personnages qui habitent avec lui. Parfois, tout se confond, tout s’inverse, il ne sait plus, il n’entend plus les instructions autour de lui. Il ne sait plus où il est, où il habite, ce qu’il fait là, où il était hier.

Oui, au fait… Tiens… Il était où hier ? Il se prend la tête entre les mains, tout en s’asseyant sur son lit du bout des fesses. Tout tourne autour de lui, tout se bouscule. Une onde froide et insidieuse remonte le long de sa colonne vertébrale, l’emportant tout entier dans un néant inexistant, le faisant plonger malgré lui dans un vortex, un abime abyssal où il ne maitrise plus rien, comme jeté du haut d’un pont. Son souffle se saccade, l’air qu’il aspire le dévaste, celui qu’il expire l’exténue. Sa tête tourne en vertige et tout son être est aspiré au bord de l’inconscience. Il ne maîtrise plus rien. Vite, vite une nouvelle goulée d’air frais et c’est tout son cerveau qui se noie dans l’immensité de sa boite crânienne. Oui, il est responsable de la bonne marche du monde, ça n’est pas rien, c’est même énorme, la barre est haute, très haute, ça lui fraye un chemin infini dans les méandres de sa raison, infini et vertigineux, vertigineux et fou…

Après un temps qu’il n’évalue pas, c’est au prix d’efforts surhumains qu’il parvient à reprendre souffle, faire face, rattraper les rênes de son embarcation et de tout son petit monde. Il s’apaise, se pose, revient à lui. Dans un silence affirmé, il articule, sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche, une formule magique qui a déjà marché et qui est déjà parvenue à le sortir du trou : « FERMEZ-LA, TOUS, MAIS FERMEZ-LA ! ». Combien de temps elle va marcher, cette formule magique ?

En tout cas, là, ça marche… Il respire un grand coup, se redresse, se lève, s’aperçoit dans la glace, il est beau, grand, plein de prestance. Plein de démence aussi. Qu’il rejette, dans un déni obsessionnel. Il sort de sa chambre, guindé, tout en retenue, arrive dans la cuisine, un peu en retard au petit déjeuner, contenant fort au fond de lui ses démons, Hector, Gabriel, Hortense, Bob, Adam et tous les autres, pour qu’ils fassent silence, pour qu’ils ne se manifestent pas. Ou plus… Non, pas là. Pas maintenant. Là, dans ces murs, il est le père, il est le personnage principal qui habite la maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé, son antre, son refuge. Il est le maître de ce lieu. Responsable de la bonne marche du monde. Habité.

Avant de prendre place à la table du petit déjeuner, il entreprend de se laver les mains au robinet de la cuisine. Longuement. Il se sèche ensuite au douteux torchon accroché à un clou, le repose méticuleusement, déplace de quelques centimètres une assiette qui s’égoutte à côté de l’évier, élimine du bout de l’index une goutte d’eau tombée sur le robinet, puis replace l’assiette comme elle était auparavant. Consciencieux, appliqué. C’est ça, l’ordre du monde, il en est responsable. Et puis, il se lave les mains à nouveau. Longuement. Se sèche au torchon, déplace à nouveau l’assiette, s’assure d’avoir éteint le robinet, prend le torchon, se sèche minutieusement, pose le torchon au clou. Puis, il se relave les mains. Longuement.

Quand il s’assied enfin, Ludivine fait semblant de n’avoir rien remarqué. En plus d’avoir un comportement étrange, ce matin, le père a le regard fuyant et un gros pansement sous le nez. C’est sûr, ça ne sera pas un bon jour. »

La suite dans quelques jours ?

 

Sandrine L

Ecrivant

Commentaires

  1. Ça se complique cette histoire … ! Tu nous tiens en haleine 😜

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