Des gènes errants - Clap 13 - Patates
Bonjour la Smala-vie-comme-au-cinéma - (Clap
13)
Si tu lis ces lignes, c’est que tu me restes fidèle…
La fidélité ! Ah ! Vaste
sujet… A mon sens, en matière de littérature (mais pas que…), la fidélité
n’existe pas ! Difficile de ne lire qu’un seul livre, un seul auteur,
suivre un seul blog…
Au mot fidélité, je préfère celui d’attentif
ou bien assidu… Tiens ! Le mélange des deux, donne attendu. (Non, non,
« assitif », ça ne veut rien dire, mais on peut lui inventer une
signification ! A toi de jouer, dans les commentaires !)
Allez, voilà la suite tant
attendue !
C’est assitif, non ?
Alors, allons-y...
« C’est presque une corvée, reconnue comme telle par tous ceux qui en parlent, la corvée d’épluchage de patates. Quand leur père les fait cuire sans passer par l’étape de la corvée d’épluchage, il dit :
-
On va manger des pommes de terre en
robe de chambre.
Parfois, il a beaucoup d’humour… C’est tellement rare que lorsqu’elles ont l’occasion de rire avec lui, Marie-Jeanne et Ludivine exagèrent le trait. Elles rigolent avec lui de ses blagues et de ses bons mots :
-
Robe de chambre ! dit Ludivine,
rigolarde,
-
Ouais, ce soir, eh ! Patate !
T’oublie pas de mettre ta robe de chambre sur ta robe de nuit…, s’éclaffe
Marie-Jeanne.
-
Et toi sur ton pyjama, répond Ludivine... une patate en pyjama !
-
Ouais, ben ya rien d’rigolo…
surenchérit Marie Jeanne, qui veut toujours avoir le dernier mot.
La toile cirée de la cuisine est cirée jaune, dans la cuisine orange. Aujourd’hui, un tas de patates trônent au milieu de la table. Elles sentent la terre et le terroir. Elles sont sales et mal foutues. Elles ont comme un délit de sale gueule dans leur robe marron grise et terreuse. On va voir ce qu’elles ont dans le ventre... Sorties du filet, elles ne sont pas arrivées sur la table toute seule ; c’est le père qui les a posées là et du bas de l’escalier, il appelle les filles pour qu’elles viennent les éplucher.
Inéluctablement,
c’est leur rôle, à Marie-Jeanne et Ludivine d’éplucher les patates à la maison.
Le père a sous la main une main d’œuvre gratuite qui lui donne un prétexte,
quand tout va bien, à réunir ses filles avec lui, dans la cuisine.
Si
Marie-Jeanne rechigne à lever les yeux de ses livres, Ludivine, elle, aime ce
moment. C’est convivial et chaleureux. La cuisine, c’est la pièce la plus
chaude, la plus vivante de la maison. C’est aussi la pièce par laquelle on
rentre après la porte d’entrée et le palier. A droite du palier, un escalier mène
aux chambres et la salle de bain à l’étage. Alors autant dire que la cuisine
est centrale. Le père y concocte sa gastronomie familiale, à base
de recettes simples et restreintes certes, puisqu’exclusivement réservée à eux
trois et même si on ne roule pas sur l’or, pour l’heure, on a toujours quelque
chose à manger.
Aujourd’hui,
c’est patate !
Le
tas est là, souillant la toile cirée jaune sur la table de la cuisine et deux
économes sont sortis posés face à face pour un duel de patates.
Marie-Jeanne
voudrait aller très vite et faire la course avec Ludivine, à qui en épluchera
le plus, en peu de temps. Et puis, Marie-Jeanne est pressée d’en finir pour
retrouver ses livres. Mais Ludivine, ça ne l’intéresse pas de faire un duel. Plus
maintenant en tout cas, depuis le jour où elle a joué le jeu et que dès le top
départ, l’économe n’a pas été économe sur la profondeur de l’entaille qu’il lui
a faite, glissant généreusement et profondément à partir de la pulpe de la paume. Y’avait du sang partout, sur
la nappe, sur les quelques épluchures, mais aussi, sur le tas de patates
épluchées celles à qui on avait déjà enlevé la robe, attendant d’être rincées des
dernières traînées que les mains mouillées des filles avaient laissées. De
cette blessure, Ludivine en garde un souvenir douloureux et une belle cicatrice
exactement comme quand on veut se taillader les veines, au creux doux du
poignet, là où le cœur pulse.
Au
départ, le tas de patate est toujours désolant tellement il est gros. A la fin,
Marie-Jeanne et Ludivine ont chaque fois les mains collées de terre mouillée et
il y a trois tas sur la toile cirée jaune ; le tas de patates prête à
prendre le bain, le tas d’épluchures de Marie-Jeanne et le tas d’épluchures de
Ludivine. Les trois tas ont la couleur dorée et très pâle d’une patate glabre,
légèrement humide, alors que les patates nues, prêtes à l’emploi, sont
frileusement posées dans l’égouttoir, en rang d’oignon (sans oignon…) pour le
grand plongeon dans l’eau froide puis, pour le grand plongeon dans l’eau
bouillonnante qui frémi déjà sur le feu.
Mais
chaque fois, c’est la même histoire, la même sensation ; Ludivine tremble
pour ces patates, de ce destin funeste, même si elle s’enthousiaste du festin
qui suivra : un bon gratin. Depuis toujours, (depuis qu’elle sait à peu
près manier l’économe), elle ne peut pas faire autrement que de se mettre à
leur place, aux patates. Marie-Jeanne, sous ses dehors d’intello distante,
reste encore protectrice et attentionnée avec sa sœur. Elle a depuis longtemps perçu
sa sensibilité à fleur de peau (et d’épluchure). Du haut de ses deux ans de
plus, elle lui dit, pour la rassurer ;
-
T’inquiète pas… Pour ne pas qu’elles
sachent où elles vont, il faut leur enlever les yeux.
Et pour bien lui montrer la technique, de la pointe de son
économe, Marie-Jeanne creuse généreusement la patate qu’elle est en train
d’éplucher, jusqu’à obtenir un joli petit trou.
Ludivine ne sait pas si ça la rassure… Finir aveugle et dans
l’eau bouillante ! Elle en frémit d’empathie.
Aveugle pour ne pas voir où elles vont…
Si tel est leur destin… Pourquoi pas ? »
La suite dans quelques jours ?
Sandrine
L
Ecrivant
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