Des gènes errants - Clap 12 - Joe

Bonjour la Smala-vie-comme-au-cinéma  (Clap 12)

Toujours avec moi ?

Moi, je suis toujours avec toi !

Allez, c’est reparti…

 

« Ludivine est soucieuse quand son père apparait au petit déjeuner, le regard vide, sombre. Certains jours, il irradie, prêt à déconner et d’autres jours, il est tendu, prêt à en découdre. Les jours sans, il ne faut pas broncher. Ludivine le sait, le sent. Elle n’a qu’à bien se tenir.

Le père a souvent ce regard vide, et de plus en plus. Il s’enferme fréquemment dans des pauses figées. Corps rigide et regard lointain. Quand c’est le cas, nul besoin d’aller plonger dans ses yeux ; il n’y a qu’à l’apercevoir, de loin, assis à ne rien faire, dehors, autour de la tonnelle, le plus souvent, le vague à l’âme et dans le creux de chacune de ces vagues, il nourrit le bourdon qui l’habite, à la barbe du bonheur qui le côtoie, notamment l’innocence et la joie de ses propres filles, Marie-Jeanne et Ludivine.

Mais ce matin-là, oh joie, oh bonheur, il est en veine et en verve, envers et contre tous. Il a l’envie de parler, de s’ouvrir, de se distinguer de ces moments ordinaires et trop nombreux de léthargie. Une brèche s’ouvre dans le plomb poisseux de ses humeurs noires. Il sourit à ses filles, Marie-Jeanne et Ludivine. C’est un jour avec, il n’est plus au creux de la vague, il surf dessus, il est au faîte et Ludivine à la fête ; il parle au voisin qui passe, ne se cache pas du regard d’autrui, ne rentre pas précipitamment dans la maison quand un locataire entre dans la cour pour récupérer ou déposer sa voiture au garage. Ce jour-là, il est là sur son terrain, vague espoir d’un mieux-être, avec en terre un trop plein de vouloir y être, comme pour compenser les moments où il n’y est pas.

Ludivine le voit, là en train de converser avec Tête d’Obus, le voisin chauve. Ce sobriquet lui va comme un gant (ou comme un bonnet…) ; en plus d’être chauve, sa tête est oblongue. Ludivine s’approche, innocente de tout, curieuse de faire et voir sourire son père, intriguée de le voir discourir, fière de le percevoir normalement communiquant, ce jour-là, alors que, hier encore, au petit déjeuner, ça ne semblait pas être le bon jour. C’est tellement rare. 

Tête d’Obus, lui, n’est jamais bien causant, encore moins avec le père qui parfois lui met le grappin dessus, et bien plus souvent l’ignore comme on ignore quelqu’un à qui on ne veut pas parler. Tête d’Obus profite de l’approche de la petite pour conclure la conversation et s’en va-t’en guerre contre les mauvaises herbes de son terrain attenant, tournant le dos au père et Ludivine, les laissant instaurer la relation père-fille. 

Ludivine est fière et heureuse à l’ombre de son père. Elle se sent auréolée d’un amour inexprimé mais perceptible, puissant. Elle est la fille de son père, et rien que ça, ça n’est pas rien. Elle existe pour quelqu’un qui, dans ses rares sourires, la considère et parfois la sidère. Son père est rigolo quand il veut, il fait preuve l’humour quand il donne des surnoms au voisin, quand il fait ses blagues à deux balles, quand il rit de ses propres blagues. Elle profite de ces moments-là et de ce moment précis de connivence pour se confier à lui ; sous un soleil généreux et un ciel infini, ils s’installent sur un vieux siège récupéré à l’arrière d’une vieille Simca, posé là dans un coin du jardin pour le cas où, et ils profitent des rayons régénérants, espérant que tout ce qui reste à vivre ne peut qu’être meilleur que le malheur du moins bon. Une petite faille de bonheur sur un vieux siège en cuir râpé, à la chaleur d’un astre éternel.

Ludivine sort un calepin de sa poche, plus précisément un petit agenda. Elle y note les faits marquants de ses journées, les choses à faire où à retenir. Il y a quelques jours, Joe Dassin est mort. Elle sait l’été indien et ses chansons d’amour parce qu’elle connait l’intérêt que lui porte son père ; son père aime Joe Dassin. Mais il n’écoute jamais les informations, alors forcément, il ne sait pas qu’il est mort.

La petite lui montre son agenda avec ses différentes annotations et exprès, mais l’air de rien, elle met en évidence la journée où elle a noté la mort de Joe. Il faut qu’il sache…

Rien ne dure. Rien ne perdure. Tout se perd. Le sourire du père aussi. L’astre d’éternel passe à l’impermanence. La chaleur des rayons se délitent en rayons laser qui scanne la petite de bas en haut puis de haut en bas, jusqu’à ne plus exister dans le regard du père. Il retrouve ce regard vide d’hier matin.  Soudain, il est sur pause, figé, assis, inerte, les yeux dans le vague et dans le creux de cette vague, il nourrit le bourdon qui l’habite, à la barbe du bonheur qui le côtoie, notamment l’innocence et la joie de ses propres filles…

De la soirée, Marie-Jeanne et Ludivine ne le verront pas, ni les appeler pour le dîner, ni les embrasser pour le coucher.

Ludivine se sent seule, même avec sa sœur à ses côtés ; Joe Dassin est mort, la bonne affaire, « ça ne va pas changer le monde ». Mais ça a l’air de bien changer celui de son père…

En plus, ils n’ont pas mangé, et ça, c’est comme le glas d’une punition, l’indice qu’il y a un truc qui cloche. »

 

La suite dans quelques jours ?

 

Sandrine L

Ecrivant

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