Des gènes errants - Clap 10 – La chatte
Bonjour la Smala-vie-comme-au-cinéma (Clap 10)
Ok, je sais que tu es toujours là.
Si tu as oublié, d'une semaine sur l'autre, tu sais que tu peux faire des retours
en arrière, relire les textes précédents…
Avec mes amis encre et plume, moi, je
continue !
Allez, suis-moi (tout en restant
toi !)…
«
La vie se découpe en séquence, zoom sur le focal, focal sur le zoom.
La
maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé est une maison
à chats, mais pas à vendre 😉. Quand il pleut dans le jardin, et quand les chats
sont là, ils se mettent à l’abri sous la tonnelle.
Les
chats qui posent apaisent l’esprit et les énergies qu’ils dégagent sont comme des
promesses de détente, de celle qu’ils préparent lorsqu’ils s’extirpent de leur
torpeur. Si c’est une grenouille, un oiseau, un lézard qui les dérange, les
voir sortir du repos ne sera que plus spectaculaire, comme quelqu’un qui sort
de ses gonds, imprévisible.
Ludivine
aime les chats, leur douceur et aussi leur imprévisibilité ; ça lui
rappelle son père qui les aime aussi beaucoup. Lui aussi, il pose souvent, paraissant
être un esprit apaisé ; en fait, il fait semblant d’être apaisé, mais
c’est pour de vrai qu’il est imprévisible. Elle ne connait pas encore tous les
codes. Alors, elle observe, en alerte, forte de l’expérience du beau livre
trouvé dans le champ voisin, puis jeté imprévisiblement à la poubelle.
«
Trois p’tits chats »... Comme dans la chanson, il y a bien trois p’tits
chats dans cette maison. Il y a ce blanc et noir, costaud, toujours en vadrouille,
bavard lorsqu’il surgit. Il y en a un aussi tout noir aux yeux de jade, timide
et peureux comme si il connaissait la légende qui le précède, celle du chat
noir qui porte malheur. Et puis, il y a une petite chatte tigrée toute menue et
franchement pas avenante, toujours sale et maigrelette.
Tout
naturellement, par manque d’imagination ou pour plus de facilité pour retenir
leur nom, le père les a surnommé Blanc-blanc, Noi-Noir et Lafille.
Ce
jour-là, il ne pleut pas dans le jardin, mais Lafille est enroulée tout autour
de sa queue, sur un coussin vert défraichi, sous la tonnelle. Cette chatte est
sale mais très gentille. Elle ne bronche jamais quand Ludivine la saisit d’autorité pour poser son petit corps maigrelet sur sa nuque, les pattes
pendant de chaque côté des oreilles de Ludivine, juste pour jouer avec elle, lui
claquant des bisous à pleine bouche dans sa fourrure crasseuse. Ludivine aime
sucer des bonbons pour s’en enduire les lèvres et les avoir luisantes, comme si
elle avait mis du rouge à lèvres transparent. Quand elle fait des bisous au douteux
pelage de Lafille, ses lèvres collantes de bonbon récupèrent quelques poils ;
c’est à peine si elle les enlève du revers de la main. Elle aime humer le
parfum du pelage de Lafille. Elle ne se contente jamais de la regarder du bout
des yeux, ou même du bout des doigts ; Ludivine aime toucher. Elle aime
cette chatte, une connivence, une évidence, un point commun avec son père qui
aime tant les chats aussi.
Ce
jour-là, Lafille n’a pas bougé un poil ni une oreille à l’approche de Ludivine.
Elle est sur son coussin, profondément sereine, pesant de tout son poids.
Ludivine a beau être bruyante, la chatte ne daigne même pas la regarder, la
tête enfouie sous sa queue, comme si l’essence même de sa propre odeur la
rassurait. Même après le bisou collant du bonbon mentholé, la chatte n’a pas
bronché. Ludivine n’est pas habituée à cette indifférence, à cette
inertie ; la chatte reste profondément ancrée dans le coussin vert de gris,
immobile.
Lafille
ne veut pas jouer avec elle, mais au final, Ludivine s’en fiche ; avec son
petit vélo rouge, elle fait le tour de la tonnelle, tournant autour du saule
pleureur, longeant les garages. Elle s’imagine des scénarios et joue à être
Panou au volant de sa voiture ; un feu rouge ici, il faut s’arrêter. Un
stop là, il faut s’arrêter aussi. C’est quoi la différence entre un feu rouge
et un stop ? La cour, tout autour de la tonnelle, est le reflet du monde.
Il s’y passe plein de choses qui comblent l’imaginaire de Ludivine.
Pratiquement partout, le sol y est couvert de gros graviers et puis à d’autres
endroits, c’est du ciment. Ludivine aime la douceur du ciment quand elle roule
dessus à vélo. Elle fonce, accélère à certains passages, faisant attention
quand même à ne pas abîmer les portes des garages rouges et lustrées. Elle aime
aussi le crissement du gravier sous ses roues de vélo, mais là, elle ralentit ;
plus d’une fois, elle a bien failli déraper dessus. Un fois aussi, elle y est tombée
lourdement, écorchant ses deux genoux, y incrustant des petits graviers blancs
sur ses plaies sanguinolentes.
La
boucle est bouclée autour de la tonnelle. Mais elle refait un tour, ; gravier, ciment, les garages rouges lustrés, le saule pleureur sous lequel elle passe debout sur
ses pédales afin que les branches qui tombent lui caressent le visage. Et puis, elle revient sous la tonnelle, là où Lafille dort.
Elle s’accroupi près de la chatte, la caresse doucement,
mais Lafille ne bouge toujours pas.
Aucune
grenouille, aucun oiseau, aucun lézard ne se risque à narguer la petite chatte.
En revanche, quand la grosse mouche bleue et verte se pose sur le dessus de sa
tête, juste entre ses deux oreilles, Ludivine jurerait que la chatte va enfin
ouvrir un œil et la happer tout cru.
C’est
là qu’il prend à Ludivine l’envie irrépressible, urgente, comme en proie à une
mauvaise intuition, de saisir la chatte à pleine main, de la hisser dans ses
bras. Mais c’est une petite loque de poils sales mais doux, qui fait tout mou
dans ses bras ; Lafille a rendu son âme au ciel.
Ludivine
en est toute tourneboulée, mais plus encore devant la réaction excessive du
père.
La
vie se découpe en séquence, zoom sur le focal, focal sur le zoom.
La
maison de maître au perron de pierre et au portail en fer forgé est une maison
qui a perdu un chat, un peu comme la mère Michel, mais en pire. Si les chats
qui y vivent posent et apaisent l’esprit, ce jour-là, l’esprit du père perd
pied. De la soirée, Marie-Jeanne et Ludivine ne le verront pas, ni les appeler
pour le dîner, ni les embrasser pour le coucher.
Ce
soir-là, Ludivine se sent esseulée, même avec sa sœur Marie-Jeanne à ses côtés ;
la petite chatte lui manque déjà et le père aussi.
En
plus, ils n’ont pas mangé, et ça, c’est comme le glas d’une punition, l’indice
qu’il y a un truc qui cloche. »
La suite dans quelques jours ?
Sandrine
L
👍🏼😘
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