Noble Conte du Tuyau-d'Arrosage

 

Bonjour la Smala-arrosage !


Il était une fois un petit bout de lance, un petit trou de bout de tuyau d’arrosage dirigeant son unique œil à l’horizon des possibles. Les jours de grand soleil, il bringuebalait de droite et de gauche, mue par la volonté de celui qui le commandait, traversé d’un puissant jet d’eau, émanant telle une source de joie.

Parfois, il acceptait d’être traversé par la joie. 

Mais parfois, quand il n’y avait pas de pilote au tuyau, le petit bout de lance était posé à même le sol, l’œil noir et fixe, tout près d’un brin d’herbe verte ou d’une motte de terre meuble.

Des fourmis passaient en file indienne, processionnairement organisées telle une armée, ayant l’air de savoir pertinemment où elles se rendaient. Œil-de-Tuyau aurait bien aimé les suivre tout au long de leur mission, mais il ne pouvait pas dépasser son champ de vision bien loin du 360° qui, par définition fait voir, tout le champ du possible.

Œil-de-Tuyau restait coincé entre brin d’herbe et motte de terre quand personne ne le pétrissait à pleine main. Ça le rendait triste de ne pouvoir bouger, de devoir être dépendant d’une volonté suprême. Alors, de lassitude, son œil solo coulait d’une goutte de tristesse, s’épanchant sur le brin d’herbe qui ne demandait que ça, d’être épanché. Le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres !

Dans son immobilité, souvent, Œil-de-Tuyau trépignait façon tuyau, dans un mouvement d’ondulation ; il voulait voir l’horizon…

Mais l’horizon reste inatteignable. On ne s’y rend jamais, à l’horizon. Plutôt que de s’y rendre, on se rend de s’y rendre, et dans un renoncement, on piétine brin d’herbe et motte de terre. Bon, ok, ça, c’est quand on a des pieds et une volonté reliée, ce qui n’est pas le cas d’Œil-de-Tuyau.

Là-bas, l’horizon reste inatteignable ; il est à l’occident (et à l’orient d’ailleurs), ce qu’est l’oasis au désert : un mirage.

C’est quand même intriguant cette ligne de faille au loin, parfaitement droite, à l’horizontal, séparant consciencieusement et linéairement terre et ciel.

Œil-de-Tuyau a grand temps de se poser des questions existentielles, inerte qu’il se trouve, souvent posé à terre, et la plupart du temps ; l’horizon, est–ce du ciel ou de la terre ? Est-ce les deux à la fois ? Est-ce juste un trait d’union entre les deux ? Un interstice ? Un néant ? Une ouverture vers l’infini ? Un vertige ? Un effet d’optique ou un nez fait d’optique, transformant œil en nez ?

Œil-de-Tuyau délire parfois plus que de raison, emprisonné qu’il est dans son enveloppe, s’y cognant, trop à l’étroit, sans horizon…

Tout à coup, Œil-de-Tuyau a le vertige. Sans rien avoir envisagé, il se sent monter au ciel puis aller s’abattre au sol avec force, dans un bruit caoutchouteux, éclaboussant brins d’herbe et motte de terre d’une rasade plus généreuse qu’une larme de tristesse. Il est plein d’eau derrière son œil, toute une réserve lui coule à l’intérieur, d’un coup d’un seul. Œil de Tuyau, le regard flou, a la rétine jaillissante. Plus guère d’horizon à l’horizon. Un flux aqueux lui sort de l’œil, en une pression pressurisée,  

C’est Pilote, Volonté Suprême qui arrose son jardin.

Œil-de-Tuyau se laisse chahuté. Il ne peut rien faire d’autre. Il se sent impuissant, ôté de toute volonté et en colère, très en colère, comme quand on ne peut pas décider, comme quand une direction nous est imposée. Œil-de-Tuyau s’épuise à freiner des quatre fers (qu’il n’a pas), il s’éreinte à vouloir aller à contre-courant, il s’oppose à lui-même dans une brasse coulée qui le noie. Le flux aqueux qui le traverse, initialement de joie et d’enthousiasme, se transforme en haine (contre Pilote) et en antipathie (pour la Terre entière).

Alors, ce qui devait arriver arriva. 

Un nœud rageur se forma, (qu’importe le lieu et la forme), ça le pinça si fort que ça bloqua le flux de joie jusqu’à son œil. Cette joie stagna à l’endroit de la pince et c’est sans rire que tuyau éclata, laissant Œil-de-Tuyau épars, sans plus d’eau (d’Hépar 😂) dans l’œil ; le départ d’eau avait changé, ça giclait là où ça avait pété, arrosant généreusement et gratuitement le jardin du voisin.


 Morales de cette histoire, s'il en est :

-        Mieux vaut être le pilote dans l’avion que l’œil qui dort au bout du tuyau.

-       Si l’herbe est plus verte chez le voisin, c’est que ton tuyau en fondant les plombs, a dévié sa trajectoire, restreignant son arrosage au voisinage et faisant, de fait, une croix sur les promesses de l’horizon.

 


A toi d’en trouver, des morales à ce conte ; il y en a d’autres, car comme tout conte qui se respecte, il s’agit là d’un conte riche, un conte ample (😂)


     Sandrinelle, les bons tuyaux….

 

Commentaires

  1. Toujours aussi finement dit et surtout écrit que la complexité de l'humanité restera un conte à jamais inachevé....
    Tu as un bel avenir 😌🙏
    Merci de me faire partager ton talent .
    À une prochaine lecture.
    Christine

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